Les amours du Chico
assez lâche, assez infâme pour torturer et tuer
lentement la mère, est-ce que le fils doit hésiter ? Ne
doit-il pas la défendre, la venger ? Même contre son
père !
Voilà qui expliquait tout. Voilà qui mettait sa conscience
déchirée en repos.
Et ç’avait été une idée magistrale que Fausta avait eue là.
Maintenant le Torero, ballotté, déchiré entre ces sentiments
divers, n’était plus qu’une loque humaine qu’elle pourrait arranger
à sa guise.
Le plus fort était fait, le reste ne serait qu’un jeu. Le
Torero, le fils du roi, était à elle, elle n’avait qu’à tendre la
main pour le prendre. Elle serait reine, impératrice, elle
dominerait le monde par lui – car il ne serait jamais qu’un
instrument entre ses mains.
Et en attendant il fallait le lâcher sur celui qu’elle lui avait
dit être son père. Il fallait lui faire admettre l’idée d’un
meurtre régicide doublé de parricide, en le parant des apparences
d’une légitime défense.
Et comme le jeune prince demeurait toujours muet, les yeux
exorbités obstinément fixés sur le roi, doucement, de ses propres
mains, Fausta poussa les battants de la fenêtre, laissa retomber
les lourds rideaux ; dérobant à ses yeux une vue qui lui était
si pénible.
En effet, dès qu’il ne vit plus le roi, don César poussa un long
soupir de soulagement et parut sortir d’un rêve angoissant comme un
cauchemar. Il jeta un regard trouble sur les splendeurs qui
l’environnaient comme s’il se fût demandé où il était et ce qu’il
faisait là. Puis ses yeux tombèrent sur Fausta, qui l’observait en
silence, et la notion de la réalité lui revint tout à fait.
Fausta, voyant qu’il s’était ressaisi et qu’il était maintenant
à même de continuer l’entretien, dit doucement d’une voix grave où
perçait une sourde émotion :
– Excusez-moi, monseigneur, de vous avoir si brutalement
dévoilé la vérité. Les circonstances ont été plus fortes que ma
volonté et m’ont emportée malgré moi.
Le Torero fut secoué d’un frisson qui le parcourut de la nuque
aux talons. Ce titre de « monseigneur » avait pris dans
la bouche de Fausta une ampleur insoupçonnée. De plus, il semblait
lui dire qu’il n’était pas le jouet d’un rêve, que tout ce qu’il
avait vu et entendu jusque-là, si affreux, si douloureux que cela
lui parût, était bien une réalité.
En même temps, chose curieuse, ce titre lui causa une impression
pénible qu’il traduisit en répétant avec amertume et en secouant la
tête :
– Monseigneur !… :
– C’est le titre qui vous revient de droit, dit gravement
Fausta, en attendant mieux.
Une fois encore, le Torero reçut un choc dans la poitrine.
Que signifiait cet « en attendant mieux » ?
L’intendant de la princesse avait, presque textuellement, prononcé
les mêmes paroles. Que lui voulait-on, décidément ? Il résolut
de le savoir au plus tôt, et comme Fausta, avec cette imposante
noblesse d’attitude qui la faisait si majestueuse qu’elle semblait
toujours dominer les têtes les plus haut placées, comme Fausta lui
indiquait son siège en disant : « Daignez vous
asseoir », le Torero s’assit, bien résolu à tirer au clair
tout ce qui lui paraissait obscur et ténébreux dans
l’extraordinaire aventure qui lui arrivait.
– Ainsi, madame, dit-il d’une voix très calme en apparence,
vous prétendez que je suis le fils légitime du roi
Philippe ?
Fausta comprit qu’il cherchait à se dérober, et que si elle le
laissait faire il lui échapperait.
Elle le fouilla d’un regard pénétrant, et ne put s’empêcher de
rendre intérieurement hommage à la force d’âme de ce jeune homme
qui, après des secousses aussi rudes, avait su se dominer au point
de montrer un visage aussi calme, aussi paisible.
« Décidément, songeait-elle, ce petit aventurier n’est pas
le premier venu. Il a une dose d’orgueil vraiment royale. Tout
autre, à sa place, eût accepté la révélation que je lui ai faite en
exultant. Vraie ou fausse, un autre se fût empressé de la tenir
pour valable. Celui-ci reste froid. Il ne se laisse pas éblouir, il
discute, et je crois, Dieu me pardonne ! que son plus cher
désir serait d’acquérir la preuve que je me suis
trompée. »
Et pour la première fois depuis le commencement de cet
entretien, un doute commença de pénétrer sournoisement en elle et,
avec une angoisse terrible, elle se posa la
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