Les amours du Chico
moins notoirement connue pour telle ; cela
suffit.
– Elle a été baptisée, se débattit le Torero.
– Qu’elle montre son acte de baptême… elle ne le pourra.
Et, le pût-t-elle, elle a vécu en hérétique, cela suffit, te
dis-je, et toi qui rêves d’unir ton sort au sien ; tu seras
traité comme celui-ci.
Elle montrait le bûcher.
– Quel est donc l’infâme qui impose de telles
lois ?
– Ton père.
– Mon père ! encore ! Mais qui est donc ce tigre
altéré de sang que la nature maudite me donna pour père ?
Comme il disait ces mots, il se fit un grand tapage au balcon
d’un des somptueux palais bordant la place. Ce balcon, comme celui
de Fausta, était resté, jusque-là, inoccupé. Et voilà que les
larges portes-fenêtres, donnant accès au balcon, venaient de
s’ouvrir toutes grandes, et une foule de seigneurs, de nobles
dames, de prêtres et de moines se montraient par les baies.
Un fauteuil unique fut traîné sur le balcon et un personnage,
devant qui tous les autres s’effaçaient, parut sur le balcon,
s’assit paisiblement, tandis que tous les assistants, restés à
l’intérieur, se groupaient derrière le fauteuil. Et le personnage,
le menton dans la paume de la main, le coude sur le bras du
fauteuil, laissa errer distraitement sur le bûcher embrasé et sur
la foule hurlante un regard froid et acéré.
En réponse au cri de révolte et de fureur du Torero, Fausta
s’approcha de lui jusqu’à le toucher, et la face étincelante, le
dominant du regard, impérieuse et fatale, elle lui jeta en plein
visage, d’une voix tonnante :
– Ton père !… Tu veux savoir qui est ton
père ?…
Et elle apparut soudain si grandie, si superbement consciente de
sa force, si froide et si inexorable que le Torero eut l’intuition
rapide d’une révélation formidable, et affolé il bégaya :
– Oh !… Qu’allez-vous m’apprendre ?
Fausta se pencha davantage encore sur lui, le saisit au poignet
et répéta :
– Tu veux connaître ton père ?… Eh bien !
regarde !… le voici !…
Et son index tendu désignait le personnage qui, froidement, d’un
air ennuyé, regardait se consumer les corps des sept
suppliciés.
Le Torero fit deux pas en arrière, et les yeux hagards, les
cheveux hérissés, le poing crispé sur le manche de sa dague, il
cria d’une voix où il y avait plus de douleur certes que
d’horreur :
– Le roi !…
Chapitre 3 LE FILS DU ROI
Un long moment, Fausta considéra silencieusement, avec une
sombre satisfaction, le jeune homme qui paraissait accablé de
douleur.
Elle avait lieu d’être satisfaite. Elle avait mené toute cette
partie de son entretien avec une habileté infernale.
Sérieusement documentée, elle savait que le roi Philippe, qui
n’inspirait que la terreur à la grande majorité de ses sujets,
était franchement abhorré par une minorité composée d’une élite
dans laquelle tous les éléments de la société fraternisaient,
momentanément unis dans la haine et l’horreur que leur inspirait le
sombre despote.
Grands seigneurs aux idées libérales, artistes, savants,
soldats, bourgeois, aventuriers, gens du peuple, on trouvait de
tout dans cette minorité. Pour tous ces opprimés, généralement
d’intelligence plus ouverte et d’idées plus avancées que le commun
du troupeau habitués à courber l’échine, la fureur religieuse du
roi, qui l’incitait constamment à des répressions sanglantes, avait
fait de celui-ci, à leurs yeux, une sorte de monstre qu’il eût été
licite, au point de vue purement humain, de supprimer.
Nous ne parlons pas, bien entendu, d’une tourbe d’intrigants –
il yen a et il y en aura toujours – qui ne voyaient dans le
renversement de l’ordre établi qu’une occasion de satisfaire leurs
passions. Nous ne parlons que de ceux qui étaient sincères.
Quoi qu’il en soit, le mécontentement était assez général, assez
profond pour qu’un mouvement occulte fût tenté par quelques-uns,
ambitieux ou illuminés dont le désintéressement ne pouvait être
suspecté. Nous avons vu Fausta présider et diriger à son gré une
réunion de ces révoltés. Qu’un mouvement sérieux vînt à se
dessiner, et une foule d’inconnus ou d’hésitants se joindraient à
ceux qui auraient donné le branle.
Fausta savait tout cela.
Elle savait encore que le Torero était au nombre de ceux pour
qui le nom du roi était synonyme de meurtre, de fureur sanglante,
et à qui il
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