Les amours du Chico
jugement, si dociles
que soient des magistrats, qui peut jurer qu’une indiscrétion ne
sera pas commise ? Sa terreur à ce sujet est telle qu’il a
préféré s’engager dans des voies tortueuses, sacrifier des
centaines d’innocents à seule fin que votre mort passât sinon
inaperçue – vous êtes trop connu – du moins sans éveiller les
soupçons.
– Cependant vous disiez tout à l’heure que j’étais menacé
d’une arrestation suivie d’une condamnation à mort,
naturellement.
– Oui. Mais le roi ne se résoudra à cette extrémité que
lorsqu’il lui sera dûment démontré qu’il ne peut vous atteindre
autrement.
– Il n’aura pas cette peine, dit le Torero avec amertume.
Que pourrais-je contre le roi, le plus puissant de la
terre ?
– Vous pouvez plus que vous ne pensez. D’abord exploiter
cette terreur du roi au sujet de la divulgation de votre
naissance.
– Comment ? Excusez-moi, madame, je ne comprends pas
grand-chose à toutes ces complications. Puis, que vous
dirais-je ? La pensée que je suis réduit à comploter bassement
contre mon propre père, cette pensée m’est aussi douloureuse
qu’odieuse, et j’avoue qu’elle m’enlève toute ma lucidité.
Éclairez-moi donc, madame, vous dont le cerveau puissant se joue à
l’aise au milieu de ces intrigues qui m’épouvantent.
– Je comprends vos scrupules et je les approuve. Encore ne
faudrait-il pas les pousser à l’extrême. Hélas ! je conçois
que votre cœur soit déchiré, mais si douloureux pour vous, si
pénible pour moi que cela soit, je dois insister. Il y va de votre
salut. Je vous dis donc : Ne vous obstinez pas à voir le père
dans la personne du roi. Le père n’existe pas. L’ennemi seul
reste ; c’est lui seul que vous devez voir, c’est lui seul que
vous devez combattre. Ceci peut vous paraître monstrueux, anormal.
Dites-vous bien que vous n’y êtes pour rien ; que tout le mal
vient de votre ennemi qui a tout fait, lui, et qu’au bout du compte
Vous êtes le champion d’un droit sacré : le droit à la vie,
que possède toute créature qui n’a pas demandé à venir au
monde.
Le Torero demeura un moment songeur et, redressant le front il
dit douloureusement :
– Je sens que ce que vous dites est juste. Cependant j’ai
peine à l’accepter.
Fausta se fit glaciale. :
– Entendez-vous par là, dit-elle, que vous renoncez à vous
défendre et que vous consentez à tendre bénévolement le cou pour
mieux recevoir la mort ?
Le Torero réfléchit un long moment pendant lequel Fausta
l’examina avec une anxiété qu’elle ne pouvait surmonter. Enfin il
se décida.
– Vous avez cent fois raison, madame, dit-il, d’une voix
sourde. J’ai droit à la vie comme tout le monde. Je me défendrai
donc coûte que coûte. D’autant que, comme vous l’avez dit, il ne
s’agit pas de frapper mon père, mais de me défendre. Veuillez donc
m’expliquer en quoi je pourrai exploiter cette terreur du roi dont
vous parliez.
Fausta le vit bien décidé cette fois. Elle se hâta de
reprendre :
– Prenez les devants. Le roi craint qu’un fâcheux hasard ne
fasse connaître votre naissance. Proclamez-la vous-même,
hautement : Je vous remettrai les preuves irréfutables de
cette naissance. Ces preuves, étalez-les au grand jour. Que nul ne
puisse suspecter vos dires. Il faut que, dans quelques jours, tout
le royaume sache que vous êtes l’héritier légitime de la couronne.
Il faut que l’on connaisse l’odieuse conduite du roi envers votre
sainte mère et envers vous. Quand on saura tout cela, quand chacun,
du plus grand au plus petit, sera dûment convaincu par les preuves
que vous aurez produites, il s’élèvera un tel cri de réprobation
unanime contre votre bourreau qu’il tremblera sur son trône. Voilà
comment vous pouvez le frapper, rudement, croyez-le. Vous voyez
qu’il ne s’agit pas d’un assassinat, comme vous l’avez cru, et si
je vous pardonne de m’avoir supposée capable d’un conseil aussi
bas, c’est que je comprends, je vous l’ai dit, vos déchirements. Ce
que je vous dis de faire est juste et légitime. Le plus rigoriste
ne pourrait trouver à y redire.
– C’est vrai, madame. Aussi ferai-je comme vous dites. Mais
laissez-moi vous dire que vous vous trompez quand vous dites que je
vous ai crue capable de me conseiller un assassinat. Il faudrait
être aveugle pour ne pas voir qu’un front aussi pur que le vôtre ne
peut receler que des
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