Les amours du Chico
naissance, poursuivi sa vie durant par la
haine implacable autant qu’injuste de son père. L’infant Carlos
sera acclamé de tous. Le roi entendra ces acclamations et vous
pouvez imaginer sa fureur, d’autant que ses troupes seront battues.
Vous sortirez sain et sauf de la bagarre. Je l’ai décidé ainsi, mes
mesures sont prises, cela sera. Ne revenons plus sur ce point.
– Je vous admire, madame, dit sincèrement le Torero.
Sans relever ces mots, Fausta reprit :
– Donc vous êtes sauf. Au milieu d’une armée qui vous
acclame, je défie le roi de venir vous prendre. Demain, vous serez
encore le Torero ; après-demain, vous serez l’infant Carlos.
La ville tout entière est à vous. Vingt mille hommes d’armes, à
vous, tiennent en respect les troupes royales. L’Andalousie entière
se soulève en votre faveur. Des émissaires à moi sont partis. Des
millions sont répandus de tous côtés. Si vous le voulez, avant la
fin de la semaine, le roi est pris, détrôné, enfermé dans un
couvent et vous montez sur le trône à sa place.
Et comme le Torero ébauchait un geste de protestation, elle
ajouta vivement :
– Mais vous êtes généreux. Vous n’abuserez pas de votre
victoire. Vous allez trouver le roi, vous traitez avec lui d’égal à
égal. Et il s’estime trop heureux, devant la rapidité foudroyante
du mouvement, de vous reconnaître publiquement pour l’héritier de
sa couronne. Et vous, en fils soumis et respectueux, vous lui
laissez la vie et le pouvoir. Vous attendez votre heure, qui ne
saurait tarder.
– Je rêve !… balbutia le Torero.
– Votre heure sonne. Vous voici roi de toutes les Espagnes,
roi du Portugal, prince souverain des Pays-Bas ; empereur des
Indes. Je vous donne mes états d’Italie avec ce que vous aurez en
propre par héritage, cela vous donne la moitié de l’Italie. Vous
prenez le reste.
– Oh !
– Alors vous vous tournez vers la France. C’est le rêve de
votre père, cela. Vous l’envahissez par les Pyrénées et par les
Alpes. En même temps vos armées descendent des Flandres. Une
campagne rapidement menée vous livre la France qui n’acceptera
jamais un roi huguenot. Alors vous remontez au nord et à l’est,
vous envahissez l’Allemagne comme vous avez envahi la France, et
vous reconstituez un empire plus grand que ne fut celui de
Charlemagne. Vous êtes le maître du monde. Voilà ce que vous pouvez
faire, soutenu par la main que je vous offre.
Acceptez-vous ?
Fausta s’était enflammée peu à peu à l’évocation de ses rêves
gigantesques. Sa parole chaude, ardente, son air illuminé
transportèrent littéralement le Torero, qui, ne sachant s’il était
éveillé ou s’il rêvait, s’écria :
– Il faudrait être frappé de folie pour ne pas accepter.
Mais vous, madame, vous qui jetez avec une aussi prodigieuse
désinvolture des millions dans cette entreprise, vous qui parlez de
me donner vos états, vous enfin qui m’éblouissez par l’évocation
d’une prestigieuse puissance, que me demandez-vous ? Quelle
sera votre part ?
Fausta prit un temps. Puis fixant ses yeux droit dans les yeux
de Torero, lentement, en égrenant chaque syllabe :’
– Je partagerai votre gloire, votre fortune, votre
puissance.
Sans hésiter, sans un regret, sous le coup de l’enthousiasme, il
s’écria :
– Ce n’est pas trop, certes !
Fausta nota la manière parfaitement détachée avec laquelle il
avait souscrit à ses conditions.
– Trop désintéressé, songea-t-elle. À tout prendre, je le
préfère cependant ainsi.
Et tout haut, en le fixant toujours d’un regard aigu :
– Il reste à régler la façon dont se fera le partage.
Le Torero eut un geste de superbe insouciance qu’elle admira en
connaisseur.
– Il est nécessaire que vous sachiez, dit-elle
doucement.
Très galamment, il répondit :
– Ce que vous ferez sera bien fait.
Tenace, elle reprit :
– Ce partage se fera de la manière la plus simple et la
plus naturelle.
Elle le laissa en suspens un inappréciable instant et
brusquement elle porta le coup :
– Je serai votre épouse !
Le Torero bondit. Il s’attendait à tout, hormis à une prétention
semblable, formée d’une manière si anormale, qui n’était pas sans
le choquer quelque peu. Il tombait de très haut. Fini le rêve
prestigieux, il se trouvait face à face avec la réalité
brutale.
Cette sorte d’exaltation factice qui s’était emparée de lui au
contact
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