Les amours du Chico
de Fausta s’était dissipée brusquement. Il la regardait
d’un air effaré et ne la reconnaissait pas. Il lui semblait que ce
n’était pas la même femme qu’il avait devant lui. Sous le coup de
l’emballement, cette incomparable beauté avait excité en lui le
désir. Maintenant il la voyait tout autrement. Toujours aussi
belle, certes, mais cette beauté nouvelle, loin d’exciter en lui le
désir, le repoussait au contraire par il ne savait quoi de sombre,
de fatal. Pour tout dire : elle lui faisait peur.
Dans sa stupeur, il ne put que bégayer :
– M’épouser ! Vous ! madame !
vous !
Fausta comprit que c’était l’instant critique. Elle se redressa
de toute sa hauteur. Elle prit cet air de souveraine qui la faisait
irrésistible, et adoucissant l’éclat de son regard :
– Regardez-moi, dit-elle. Ne suis-je pas assez jeune, assez
belle ? Ne ferai-je pas une souveraine digne en tous points du
puissant monarque que vous allez être ?
– Je vois, dit don César, qui recouvrait toute sa lucidité,
je vois que vous êtes, en effet, la jeunesse même, et quant à la
beauté, jamais, je le crois sincèrement, nulle beauté n’égala la
vôtre. Vous êtes déjà, madame, un modèle accompli de majesté
souveraine, et près de vous les plus grandes reines paraîtraient de
simples dames d’atours, Mais…
– Mais ?… Dites toute votre pensée, dit Fausta, très
froide.
– Eh bien, oui, je dirai toute ma pensée. Vous n’êtes pas
une femme ordinaire, madame ; la franchise la plus absolue me
paraît seule digne d’un caractère noble et fier tel que le vôtre.
Je vous dirai donc en toute sincérité, sans fausse humilité, que je
me crois tout à fait indigne du très grand honneur que vous me
voulez faire. Vous êtes trop souveraine et pas assez… femme.
Fausta eut un sourire quelque peu dédaigneux.
– Si je suis trop souveraine, selon vous, vous ne l’êtes
pas assez de votre côté. Il serait temps de faire abstraction de
votre ancienne personnalité et de bien vous pénétrer de cette
pensée que vous êtes, dès maintenant, le premier personnage du
royaume après le roi. Demain, vous serez peut-être roi vous-même.
Vous allez jouer un rôle important sur la scène du monde. Vous ne
vous appartenez plus. Les pensées, les sentiments qui pouvaient
vous paraître très naturels quand vous n’étiez qu’un simple
gentilhomme ne sont plus de mise avec votre nouvelle situation.
Vous n’êtes plus un homme : vous êtes un roi. Il faut vous
habituer à voir et à penser en roi. Auriez-vous commis cette erreur
extravagante de penser qu’il pouvait être question d’amour entre
nous ? Je ne veux pas le croire. Je suis et je dois rester
souveraine avant d’être femme, de même que l’homme doit s’effacer
en vous devant le souverain.
Le Torero hocha la tête d’un air peu convaincu :
– Ces sentiments vous sont naturels à vous qui êtes née
souveraine et avez vécu en souveraine. Mais moi, madame, je suis un
simple mortel, et si mon cœur parle, j’écoute ce qu’il me dit.
Audacieusement, elle dit :
– Et votre cœur est pris.
Très simplement, en regardant en face sans provocation, mais
avec fermeté, il répondit en s’inclinant très bas :
– Oui, madame.
– Je le savais ; monsieur. Cela ne m’a pas retenue un
seul instant. L’offre de ma main que je vous ai faite, je la
maintiens.
– C’est que vous ne me connaissez pas, madame. Lorsque mon
cœur s’est donné une fois, il ne se reprend plus.
Fausta haussa dédaigneusement les épaules.
– Le roi, dit-elle, oubliera les amours de l’aventurier. Il
ne saurait en être autrement.
Et comme le Torero allait protester, elle l’interrompit vivement
en ajoutant :
– Ne dites rien ! N’accomplissez pas l’irréparable.
Vous réfléchirez, vous comprendrez. Vous me donnerez une réponse…
tenez, après-demain. Les événements qui vont se dérouler demain
vous feront comprendre mieux que tous les discours la valeur de
l’alliance que je vous offre. Ils vous feront comprendre aussi à
quels périls vous seriez exposé si vous commettiez la folie de
refuser mes ordres. Vous pourrez voir de vos propres yeux que ces
périls sont tels que vous succomberez infailliblement si je retire
la main que j’ai étendue sur votre tête.
Et sans lui laisser le temps de placer un mot, elle se leva et,
plus doucement :
– Allez, prince, et revenez après-demain. Ne parlez pas,
vous
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