Les autels de la peur
serait parlé longtemps ; et nous ne mettrions pas vingt jours à faire le trajet d’ici à Limoges, comme nous les y avons mis pour venir. »
Claude donna en séance lecture de cette lettre. Pour sa part, il trouvait l’avertissement exagéré : la municipalité Naurissane ne menaçait nulle famille. Il eut l’occasion d’en parler avec son beau-frère en dînant boulevard de la Pyramide. Thérèse, voyant sa sœur amoureuse de Claude et indubitablement heureuse avec lui, avait fini par l’accepter. Elle ne l’aimait pas mais le supportait. Quant à lui, à l’hôtel Naurissane comme ailleurs, il s’ennuyait pesamment. Lise insistait de bon cœur pour retourner à Paris. « Tu arriveras bien à y trouver un moyen de vivre, disait-elle, et si, en attendant, nous tirons un peu le diable par la queue, eh bien, tant pis ! » Il n’eût vraiment pas été sage de renoncer à la quasi-certitude d’un poste au Département, pour aller courir le hasard dans la capitale. Sans compter que la dépense du voyage épuiserait presque tout ce qui leur restait. M. Dupré ne pouvait leur être d’aucune aide : la nouvelle dégringolade des rentes l’obligeait lui aussi à une exacte économie. En outre, au printemps précédent, il avait mis toutes ses disponibilités à l’acquisition en bloc de biens nationaux dans la paroisse de Solignac, escomptant les revendre en détail aux habitants de la commune. Or, nul n’en voulait. Les prêtres réfractaires interdisaient à leurs fidèles d’acheter des biens d’église. Les gens qui se souciaient peu de l’anathème pensaient, eux, qu’avec la réaction manifeste les communautés finiraient par rentrer dans leurs anciennes possessions. De la sorte, l’argent investi restait là, et les parents de Lise se trouvaient dans une situation guère plus brillante que celle des parents de Claude. Au demeurant, Louis Naurissane en personne n’était pas en posture si florissante : la baisse des rentes, la dépréciation de toutes les valeurs d’argent ne facilitaient point la liquidation de ses énormes dettes. Certains, parmi ses créanciers, acculés eux-mêmes, le tenaillaient.
Dans la dernière quinzaine de novembre, comme Claude terminait sa présidence, il reçut une nouvelle lettre de Robespierre annonçant sa réinstallation à Paris : lettre pleine d’un enthousiasme, d’un optimisme bien étonnant chez un tel homme, et qui disait assez son plaisir d’avoir retrouvé la grande scène parisienne. « Mon cher ami, écrivait-il. Je suis ici depuis avant-hier. J’ai été dans la soirée à la séance des Jacobins où le public et la société m’ont accueilli avec des démonstrations de bienveillance si vives qu’elles m’ont étonné, malgré toutes les preuves d’attachement auxquelles le peuple de Paris et les Jacobins m’avaient accoutumé. » Voilà bien sa modestie ! pensa Claude en haussant un peu les épaules. Comme s’il n’avait pas tout fait pour s’attirer la faveur populaire ! « J’ai soupé le même jour chez Pétion. Avec quelle joie nous nous sommes revus ! avec quelles délices nous nous sommes embrassés ! Pétion occupe le superbe hôtel qu’habitaient les Crosne, les Lenoir, mais son âme est toujours simple et pure : ce choix seul suffirait à prouver la Révolution. Le fardeau dont il est chargé est immense, mais je ne doute pas que l’amour du peuple et ses vertus ne lui donnent les moyens nécessaires pour le porter. » Tiens, l’avis de Maximilien là-dessus avait bien changé. Ne se souvenait-il plus qu’au temps de Varennes il considérait Pétion comme un esprit lourd, étroit et infatué ? « Je soupe ce soir encore chez lui. Ce sont les seuls moments où nous pouvons nous voir en famille et causer avec liberté. L’opinion publique me paraît avoir fait ici des progrès rapides, du moins le parti ministériel est démasqué, les d’André, les Barnave, les Duport sont écrasés du mépris public. Le nom de Feuillants n’excite plus que la risée. Le veto du Roi aux décrets contre les émigrés et les prêtres réfractaires a beaucoup contribué, de l’avis de tout le monde, à réveiller l’esprit public. Ce n’est pas que les bons citoyens ne conservent encore quelque inquiétude sur les projets des ennemis de la liberté, mais je suis porté à croire qu’elle triomphera de leurs nouveaux efforts. » La phrase suivante laissa Claude suffoqué de stupeur : « Je trouve de grandes
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