Les Aventures de Nigel
pars, disparais, ou ma baguette magique te frottera les oreilles.
Le page tourna sur ses talons, et disparut aussi vite qu’il était venu.
– Vous voyez, ajouta lord Dalgarno, qu’en formant ma maison, ce que je puis faire de mieux pour la noblesse du sang, c’est de l’en exclure ; car ce gibier de potence serait en état de corrompre tout une antichambre de pages, fussent-ils descendus des Rois ou des Césars.
– J’ai peine à croire, dit Nigel, qu’un homme de votre rang ait besoin des services d’un page tel que votre Lutin. Vous vous amusez aux dépens de mon inexpérience.
– Le temps vous apprendra si je plaisante ou non, mon cher Nigel ; en attendant, j’ai à vous proposer de profiter de la marée pour faire une promenade sur l’eau en remontant la Tamise, et à midi j’espère que vous dînerez avec moi.
Nigel consentit sans peine à une proposition qui ne pouvait que lui être agréable ; et son nouvel ami et lui, suivis de Lutin et de Moniplies, qui, accouplés ainsi, ressemblaient assez à l’ours dans la compagnie du singe, prirent possession de la barque de Dalgarno, qui, avec ses bateliers portant sur la manche une plaque d’argent aux armes de Sa Seigneurie, attendait leur arrivée.
L’air était délicieux sur la rivière, et la conversation animée de lord Dalgarno ajoutait encore aux plaisirs de cette promenade. Non-seulement il faisait connaître à son compagnon les édifices publics et les maisons de différens seigneurs qu’ils voyaient sur les bords de la Tamise ; mais il assaisonnait sa conversation d’une foule d’anecdotes politiques ou scandaleuses ; car s’il n’avait pas un esprit transcendant, du moins il possédait parfaitement le jargon à la mode ; ce qui suffisait, dans ce temps-là comme dans le nôtre, pour suppléer à tout le reste.
Ce style était aussi étranger pour Nigel que le monde, et il n’est guère surprenant que, malgré son bon sens et son esprit naturel, il se soit soumis plus aisément que l’un et l’autre ne semblaient le permettre au ton d’autorité que prenait son nouvel ami en lui donnant ses instructions. Il aurait, dans le fait, trouvé quelque difficulté à y résister. Essayer de prendre le ton d’une morale sévère pour répondre aux propos légers de Dalgarno, qui se tenait toujours entre le sérieux et la plaisanterie, c’eût été vouloir se faire passer pour un pédant ridicule ; et toutes les fois qu’il essayait de combattre les propositions de son compagnon, en employant le même ton de légèreté, il ne faisait que montrer son infériorité dans ce genre de controverse. Il faut en convenir d’ailleurs ; quoiqu’il désapprouvât intérieurement une grande partie de ce qu’il entendait, lord Glenvarloch était moins alarmé des discours et des manières du jeune courtisan que la prudence ne l’eût exigé.
De son côté, lord Dalgarno ne voulait pas effaroucher son prosélyte en insistant sur des idées qui paraissaient diamétralement opposées à ses habitudes ou à ses principes, et il faisait un mélange si adroit du sérieux et de la plaisanterie, qu’il était souvent impossible à Nigel de distinguer s’il parlait sérieusement ou si ses discours n’étaient que l’expression d’un esprit dont la joyeuse légèreté ne pouvait s’astreindre à aucune borne. Des sentimens d’honneur et de courage jaillissaient aussi de temps en temps comme des éclairs dans sa conversation, et semblaient prouver que lord Dalgarno, quand il serait animé par quelque motif louable de conduite, se montrerait bien différent du courtisan n’aimant que le plaisir et ses aises, dont il lui plaisait de jouer le rôle en ce moment.
En redescendant la Tamise, lord Glenvarloch, remarquant que la barque passait devant l’hôtel du comte d’Huntinglen sans s’y arrêter, en fit l’observation à son compagnon, en lui disant qu’il croyait que c’était chez son père qu’ils devaient dîner.
– Non certainement, répondit Dalgarno ; je ne suis pas sans miséricorde, et je ne veux pas une seconde fois vous étouffer sous une montagne de bœuf, et vous noyer dans une mer de vin des Canaries. J’ai en vue quelque chose qui, je vous le promets, sera plus agréable pour vous qu’un tel banquet scythe. D’ailleurs mon père doit dîner aujourd’hui chez le grave et ancien comte de Northampton, jadis le célèbre abatteur de prétendues prophéties, lord Henry Howard.
– Et vous ne l’y
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