Les Bandits
brigandage, au chantage,
à l’incendie de forêts, à la mutilation du bétail, à l’enlèvement des femmes et
des enfants, et aux attaques contre les bureaux municipaux [11] . » Comme
nous le verrons, lorsque le banditisme survit dans les campagnes à l’époque du
capitalisme pleinement développé, il exprime plus que toute autre chose (à l’exception
peut-être du peu de goût pour le gouvernement à distance) une haine contre ceux
qui prêtent de l’argent et qui rattachent ainsi les fermiers à l’espace plus
vaste du marché.
Il existe toutefois une différence de taille entre les
bandits des deux premières phases et ceux de la troisième : il s’agit de
la faim. Aux XIX e et XX e siècles, dans les régions d’agriculture capitaliste où subsiste le banditisme –
les États-Unis, l’Argentine et l’Australie sont les pays qui viennent à l’esprit
–, les habitants des campagnes ne sont plus confrontés à la l’éventualité de
mourir de faim. Mais au Moyen Âge et au début de la période moderne, dans la
plupart des régions où le banditisme est traditionnellement développé, comme le
pourtour méditerranéen, ces populations vivent constamment au bord de la famine.
« Le rythme de la faim a déterminé la structure profonde du rythme du
brigandage [12] . »
La grande époque du
cangaço
brésilien commence avec les sécheresses meurtrières de 1877-1878 et atteint son
paroxysme quantitatif avec celle de 1919 [13] .
Autrement dit, pour citer un vieux dicton chinois : « Il vaut mieux
enfreindre la loi que mourir de faim [14] . »
Les régions de banditisme étaient les régions pauvres. Les mois de l’année au
cours desquels la nourriture se faisait rare et qui ne nécessitaient pas de
travaux agricoles constituaient la saison du vol. Lorsque les crues
détruisaient les récoltes, elles multipliaient aussi les brigands.
Toutefois, ce qui intéresse l’historien dans le cadre d’une
analyse sociale et économique, ce sont les structures, sociales ou autres, du
banditisme, plus que l’impact qu’ont pu avoir les bandits sur le cours plus
large des événements de leur époque. Et, de fait, la plupart des bandits ayant
acquis une véritable notoriété colportée par les récits et les ballades sont
des individus dont les horizons et le champ d’action étaient purement locaux. Leurs
noms ne sont guère pertinents, pas plus que le détail de leurs exploits. La
réalité de leur existence est en effet tout à fait secondaire aux yeux du mythe.
Rares sont ceux, y compris parmi les férus d’archives, qui cherchent à
identifier le véritable Robin des Bois, si tant est que ce dernier ait jamais
existé. Nous savons aussi que le Joaquin Murieta californien est une invention
littéraire ; il n’en reste pas moins qu’il a toute sa place dans l’étude
structurale du banditisme comme phénomène social.
L’histoire du banditisme est nettement plus théâtrale au
point de vue politique. Les événements réels comptent – parfois de façon
particulièrement importante. Des rois et des empereurs ont commencé leur
carrière comme chefs brigands : ainsi en est-il – me suis-je laissé dire –
de l’empereur Tewodros (Theodore) II qui régna sur l’Éthiopie en 1855-1858, ou
du seigneur de la guerre Chang-Tsolin (Zhang-Zuolin) qui gouverna la
Mandchourie entre l’effondrement de l’Empire chinois et la conquête japonaise. De
fait, on a pu avancer de façon plausible que Jose Antonio Artigas, qui fit de l’Uruguay
une république indépendante de l’Argentine et du Brésil, fut d’abord un brigand,
ou plutôt un escroc et un contrebandier, ce qui n’est guère différent [15] . Par ailleurs, l’histoire
du banditisme est dans une très large mesure l’histoire de ses manifestations
collectives occasionnelles et violentes. Ce phénomène, qui reste relativement
endémique dans de nombreux contextes géographiques, peut parfois se transformer
en véritable épidémie, voire, comme on a pu le dire au sujet de la Chine des
années 1930, en pandémie. De fait, l’histoire moderne du banditisme ne commence
sans doute véritablement qu’avec la découverte par Fernand Braudel (dans son
grand livre sur la Méditerranée) de l’extraordinaire explosion du banditisme
dans tout le pourtour méditerranéen au cours des dernières décennies du XVI e siècle et des premières décennies du XVII e .
S’il en est ainsi, c’est parce que le
pouvoir
, c’est-à-dire la
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