Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
absolument primordial.
C’est après cette présentation faussement onirique que débuta la mission de plusieurs années de Sarah et Osla à Bletchley Park.
D’autres recrues arrivaient souvent au Park de nuit. Pendant le black-out, aucune lumière n’était visible depuis la ville sans cachet du Buckinghamshire. Dans l’obscurité, ces personnes n’auraient pas été capables de distinguer le moindre détail des petites maisons de brique rouge, des longues rues en terrasses ou des pubs. « Aux premières heures de la journée, je suis descendu sur le quai, où un capitaine est venu à ma rencontre », dit un ancien de Bletchley Park. « J’aurais tout aussi bien pu me trouver en Mongolie-Extérieure. »
« Je suis arrivé à Bletchley à minuit », se souvient un autre. « C’était l’obscurité totale. Quelques marches en fer menaient au pont. Il n’y avait pas âme qui vive. »
L’image ressemble à une scène d’un roman à suspense de Graham Greene : le train à vapeur qui s’éloigne, avec ses feux rouges qui disparaissent dans l’obscurité. Puis, c’est le silence pesant, seulement rompu par le bruit d’un individu qui fait les cent pas sur un quai plongé dans le noir, dans l’attente de son mystérieux contact. « On avait instauré un système de mots de passe afin de permettre aux personnes dûment autorisées de circuler dans le parc à la nuit tombée », disait une des premières notes de service de Bletchley Park en octobre 1939. « [Ça] leur permettra de s’identifier s’ils sont interpellés par la police militaire. »
Nombre de ceux entrés à Bletchley Park se souviennent de cette incertitude excitante quant à la nature de l’aventure dans laquelle ils s’apprêtaient à se lancer. Pour ceux arrivant par un soir d’hiver, voire aux petites heures du matin, l’obscurité complète enveloppant la gare prenait une profondeur métaphorique à faire froid dans le dos.
Et, même pour les autres qui arrivaient de jour par temps clair, l’entrée dans Bletchley Park n’en était pas moins déroutante. L’expérience d’une ancienne des lieux, Sheila Lawn (née MacKenzie), tout juste 19 ans à l’époque, fut aussi singulière.
C’était la première fois que la jeune Sheila quittait son Écosse natale. Elle était tombée des nues à la réception de sa convocation, se demandant comment on pouvait la connaître ou l’avoir recommandée. Elle entama un voyage en train de onze heures particulièrement pénible, d’Inverness à Bletchley (pendant la guerre, les trains étaient souvent bondés et il n’était pas rare que des voyageurs se retrouvent assis sur leur valise dans le couloir et essaient de se retenir tant les toilettes étaient d’une horreur insoutenable). Onze heures passées dans un état de tension et d’excitation face à la perspective de l’inconnu.
Elle se souvient : « Lorsque je suis arrivée à la gare de Bletchley, on m’avait ordonné de trouver un téléphone, ce que j’ai fait. À l’autre bout du fil, la voix m’a dit : “Ah oui, Mlle MacKenzie, nous vous attendons.” Une voiture est ensuite passée me prendre. Comment réellement savoir dans quoi je m’embarquais ? Comme vous le voyez, tout était enveloppé de mystère. »
Et il ne pouvait y avoir plus mystérieux et secret. Des années avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, un département du ministère des Affaires étrangères britannique avait bien conscience du défi qui s’annonçait. Ce défi nécessiterait non seulement des esprits acérés, mais également des jeunes gens dotés de l’énergie et du caractère nécessaires pour affronter des épreuves éreintantes pour les nerfs qui exigeaient des trésors de patience. Des recrues capables de se concentrer jour après jour sur des tâches d’une complexité stupéfiante, sans laisser la pression ronger leurs capacités mentales.
À leur arrivée, la plupart des jeunes recrues saisissaient immédiatement que des missions de renseignement de la plus haute importance les attendaient. On les gratifiait d’avertissements aussi solennels qu’incisifs sur le secret absolu de leurs travaux. Cela leur rappelait leurs anciens tuteurs d’université, habillés en civil. Ils prenaient conscience alors rapidement, comme pris de vertiges, de leur présence au sein du centre névralgique de l’effort de guerre britannique.
Dans ce parc situé à 80 kilomètres au nord de Londres, ils
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