Les chevaliers de la table ronde
Table Ronde.
Tout est en place sur l’échiquier. Et c’est Merlin, le fils
du Diable, qui, d’une chiquenaude apparemment fortuite, donne le signal qui met
en jeu les forces en présence, dans une partie dont on n’imagine pas quelle
pourrait en être la conclusion.
Poul Fetan, 1993.
AVERTISSEMENT
Les chapitres qui suivent ne sont pas des traductions, ni
même des adaptations des textes médiévaux, mais une ré-écriture ,
dans un style contemporain, d’épisodes relatifs à la grande épopée arthurienne
telle qu’elle apparaît dans les manuscrits du XI e au XV e siècle. Ces épisodes appartiennent
aussi bien aux versions les plus connues qu’à des textes demeurés trop souvent
dans l’ombre. Ils ont été choisis délibérément en fonction de leur intérêt dans
le déroulement général du schéma épique qui se dessine à travers la plupart des
récits dits de la Table Ronde, et par souci d’honnêteté, pour chacun des épisodes,
référence précise sera faite aux œuvres dont ils sont inspirés, de façon que le
lecteur puisse, s’il le désire, compléter son information sur les originaux. Une
œuvre d’art est éternelle et un auteur n’en est que le dépositaire temporaire.
1
La Conquête du Royaume
L’hiver suscitait de grandes tempêtes et des bourrasques de
vent, de la neige sur le sommet des montagnes et des brouillards dans les
vallées parmi lesquelles s’égaraient les voyageurs. Mais ceux-ci, lorsqu’ils
parvenaient dans les villages et qu’ils allaient se réchauffer auprès d’un bon
feu de bûches dans les chaumières où ils étaient accueillis, racontaient à qui
voulait les entendre une stupéfiante nouvelle : le royaume avait enfin un
roi. À vrai dire, le petit peuple ne se sentait guère concerné par cette
nouvelle qui ne modifierait en rien sa façon de vivre. Le roi était bien loin
et, depuis longtemps, on avait cessé de croire qu’il pouvait améliorer le sort
des plus humbles. Mais, cependant, on souhaitait ardemment que ce nouveau roi
fût juste et bon et qu’il rétablît la paix en cette île de Bretagne : on n’avait
que trop subi les villages incendiés par des soudards surgis de n’importe où, les
récoltes saccagées, le bétail dérobé, les femmes violées, les jeunes gens
pendus aux arbres. Cela avait assez duré : les cloches des églises
devaient maintenant sonner pour les fêtes et non plus pour les deuils. Assez d’angoisses
et de tristesses, assez de massacres et de souffrances ! Et seul un roi juste
et bon, quel qu’il fût, pouvait redonner l’espoir à ce petit peuple
frileusement replié à l’ombre des forêts, à l’écart des grandes routes de ce
monde.
On racontait d’ailleurs des choses merveilleuses à propos de
ce roi dont on savait seulement qu’il se nommait Arthur : il avait été le
seul à pouvoir saisir une épée magique fichée dans un perron, signe évident que
Dieu l’avait choisi pour gouverner le royaume, même si ce n’était qu’un obscur
fils de vavasseur qui n’était même pas encore chevalier. Mais l’on se souvenait
que le Christ était né dans une étable, dans le froid et le dénuement, et que
les puissants Rois mages n’avaient pas hésité à venir de très loin pour s’incliner
devant lui et lui offrir des présents. Peu importait donc que ce roi, que Dieu
avait distingué parmi de grands guerriers et de nobles barons, fût le plus
humble et le plus obscur de tous s’il avait le pouvoir de rétablir l’harmonie
entre ses sujets. Alors, dans toutes les églises, dans toutes les chapelles du
royaume, une prière fervente s’élevait, toujours la même : De profundis, Domine … Car il fallait enfin surgir
des temps obscurs. À travers l’île de Bretagne, l’espoir renaissait et l’on
sentait les bourgeons vibrer sous la neige.
Il n’en était pourtant pas ainsi dans les forteresses qui parsemaient
le pays de leurs éperons provocants, là où résidaient les grands de ce monde, ou
du moins ceux qui se prétendaient tels. D’abord abasourdis par le prodige dont
ils avaient été les témoins, lorsque le jeune Arthur avait retiré l’épée Excalibur
du perron, ils s’étaient inclinés devant ce qui paraissait le choix de Dieu. Mais,
à présent, ils se mettaient à réfléchir et à douter. N’était-ce pas plutôt le
diable qui, pour mieux les engluer dans ses pièges, avait ainsi fait désigner
le plus faible d’entre tous les hommes du royaume ? Après tout,
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