Les Confessions
pouvait
s'en mêler. Ne sachant plus que faire, il revint à moi. Je
représentai à M. de Montaigu qu'il devait me permettre de donner
sur cette affaire un mémoire au sénat. Je ne me rappelle pas s'il y
consentit et si je présentai le mémoire; mais je me rappelle bien
que, mes démarches n'aboutissant à rien, et l'embargo durant
toujours, je pris un parti qui me réussit. J'insérai la relation de
cette affaire dans une dépêche à M. de Maurepas et j'eus même assez
de peine à faire consentir M. de Montaigu à passer cet article. Je
savais que nos dépêches, sans valoir trop la peine d'être ouvertes,
l'étaient à Venise; j'en avais la preuve dans les articles que j'en
trouvais mot pour mot dans la gazette: infidélité dont j'avais
inutilement voulu porter l'ambassadeur à se plaindre. Mon objet, en
parlant de cette vexation dans la dépêche, était de tirer parti de
leur curiosité, pour leur faire peur et les engager à délivrer le
vaisseau; car s'il eût fallu attendre pour cela la réponse de la
cour, le capitaine était ruiné avant qu'elle ne fût venue. Je fis
plus, je me rendis au vaisseau pour interroger l'équipage. Je pris
avec moi l'abbé Patizel, chancelier du consulat, qui ne vint qu'à
contrecœur; tant tous ces pauvres gens craignaient de déplaire au
sénat. Ne pouvant monter à bord à cause de la défense, je restai
dans ma gondole, et j'y dressai mon verbal, interrogeant à haute
voix et successivement tous les gens de l'équipage, et dirigeant
mes questions de manière à tirer des réponses qui leur fussent
avantageuses. Je voulus engager Patizel à faire les interrogations
et le verbal lui-même, ce qui en effet était plus de son métier que
du mien. Il n'y voulut jamais consentir, ne dit pas un seul mot, et
voulut à peine signer le verbal après moi. Cette démarche un peu
hardie eut cependant un heureux succès, et le vaisseau fut délivré
longtemps avant la réponse du ministre. Le capitaine voulut me
faire un présent. Sans me fâcher, je lui dis, en lui frappant sur
l'épaule: Capitaine Olivet, crois-tu que celui qui ne reçoit pas
des Français un droit de passeport qu'il trouve établi, soit homme
à leur vendre la protection du roi? Il voulut au moins me donner
sur son bord un dîner, que j'acceptai, et où je menai le secrétaire
d'ambassade d'Espagne, nommé Carrio, homme d'esprit et très
aimable, qu'on a vu depuis secrétaire d'ambassade à Paris et chargé
des affaires, avec lequel je m'étais intimement lié, à l'exemple de
nos ambassadeurs.
Heureux si, lorsque je faisais avec le plus parfait
désintéressement tout le bien que je pouvais faire, j'avais su
mettre assez d'ordre et d'attention dans tous ces menus détails
pour n'en pas être la dupe et servir les autres à mes dépens! Mais
dans les places comme celles que j'occupais, où les moindres fautes
ne sont pas sans conséquence, j'épuisais toute mon attention pour
n'en point faire contre mon service. Je fus jusqu'à la fin du plus
grand ordre et de la plus grande exactitude en tout ce qui
regardait mon devoir essentiel. Hors quelques erreurs qu'une
précipitation forcée me fit faire en chiffrant, et dont les commis
de M. Amelot se plaignirent une fois, ni l'ambassadeur ni personne
n'eut jamais à me reprocher une seule négligence dans aucune de mes
fonctions; ce qui est à noter pour un homme aussi négligent et
aussi étourdi que moi: mais je manquais parfois de mémoire et de
soin dans les affaires particulières dont je me chargeais; et
l'amour de la justice m'en a toujours fait supporter le préjudice
de mon propre mouvement, avant que personne songeât à se plaindre.
Je n'en citerai qu'un seul trait, qui se rapporte à mon départ de
Venise, et dont j'ai senti le contrecoup dans la suite à Paris.
Notre cuisinier, appelé Rousselot, avait apporté de France un
ancien billet de deux cents francs qu'un perruquier de ses amis
avait d'un noble vénitien appelé Zanetto Nani, pour fourniture de
perruques. Rousselot m'apporta ce billet, en me priant de tâcher
d'en tirer quelque chose par accommodement. Je savais, il savait
aussi que l'usage constant des nobles vénitiens est de ne jamais
payer, de retour dans leur patrie, les dettes qu'ils ont
contractées en pays étranger: quand on les y veut contraindre, ils
consument en tant de longueurs et de frais le malheureux créancier,
qu'il se rebute, et finit par tout abandonner, ou s'accommoder
presque pour rien. Je priai M. le Blond de parler à
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