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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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bientôt l'un de l'autre. Je les
liai; ils se convinrent, et s'unirent encore plus étroitement entre
eux qu'avec moi. Diderot avait des connaissances sans nombre; mais
Grimm, étranger et nouveau venu, avait besoin d'en faire. Je ne
demandais pas mieux que de lui en procurer. Je lui avais donné
Diderot, je lui donnai Gauffecourt. Je le menai chez madame de
Chenonceaux, chez madame d'Épinay, chez le baron d'Holbach, avec
lequel je me trouvais lié presque malgré moi. Tous mes amis
devinrent les siens, cela était tout simple; mais aucun des siens
ne devint jamais le mien, voilà ce qui l'était moins. Tandis qu'il
logeait chez le comte de Frièse, il nous donnait souvent à dîner
chez lui; mais jamais je n'ai reçu aucun témoignage d'amitié ni de
bienveillance du comte de Frièse ni du comte de Schomberg, son
parent, très familier avec Grimm, ni d'aucune des personnes, tant
hommes que femmes, avec lesquels Grimm eut par eux des liaisons.
J'excepte le seul abbé Raynal, qui, quoique son ami, se montra des
miens, et m'offrit dans l'occasion sa bourse avec une générosité
peu commune. Mais je connaissais l'abbé Raynal longtemps avant que
Grimm le connût lui-même, et je lui avais toujours été attaché
depuis un procédé plein de délicatesse et d'honnêteté qu'il eut
pour moi dans une occasion bien légère, mais que je n'oublierai
jamais.
    Cet abbé Raynal est certainement un ami chaud. J'en eus la
preuve à peu près dans le temps dont je parle envers le même Grimm,
avec lequel il était étroitement lié. Grimm, après avoir vu quelque
temps de bonne amitié mademoiselle Fel, s'avisa tout d'un coup d'en
devenir éperdument amoureux, et de vouloir supplanter Cahusac. La
belle, se piquant de constance, éconduisit ce nouveau prétendant.
Celui-ci prit l'affaire au tragique, et s'avisa d'en vouloir
mourir. Il tomba tout subitement dans la plus étrange maladie dont
jamais peut-être on ait ouï parler. Il passait les jours et les
nuits dans une continuelle léthargie, les yeux bien ouverts, le
pouls bien battant, mais sans parler, sans manger, sans bouger,
paraissant quelquefois entendre, mais ne répondant jamais, pas même
par signe; et du reste sans agitation, sans douleur, sans fièvre,
et restant là comme s'il eût été mort. L'abbé Raynal et moi nous
partageâmes sa garde; l'abbé, plus robuste et mieux portant, y
passait les nuits, moi les jours, sans le quitter, jamais ensemble;
et l'un ne partait jamais sans que l'autre ne fût arrivé. Le comte
de Frièse, alarmé, lui amena Senac, qui, après l'avoir bien
examiné, dit que ce ne serait rien, et n'ordonna rien. Mon effroi
pour mon ami me fit observer avec soin la contenance du médecin, et
je le vis sourire en sortant. Cependant le malade resta plusieurs
jours immobile, sans prendre ni bouillon, ni quoi que ce fût, que
des cerises confites que je lui mettais de temps en temps sur la
langue, et qu'il avalait fort bien. Un beau matin il se leva,
s'habilla, et reprit son train de vie ordinaire, sans que jamais il
m'ait reparlé, ni, que je sache, à l'abbé Raynal, ni à personne, de
cette singulière léthargie, ni des soins que nous lui avions rendus
tandis qu'elle avait duré.
    Cette aventure ne laissa pas de faire du bruit; et c'eût été
réellement une anecdote merveilleuse que la cruauté d'une fille
d'Opéra eût fait mourir un homme de désespoir. Cette belle passion
mit Grimm à la mode; bientôt il passa pour un prodige d'amour,
d'amitié, d'attachement de toute espèce. Cette opinion le fit
rechercher et fêter dans le grand monde, et par là l'éloigna de
moi, qui jamais n'avais été pour lui qu'un pis-aller. Je le vis
prêt à m'échapper tout à fait. J'en fus navré, car tous les
sentiments vifs dont il faisait parade étaient ceux qu'avec moins
de bruit j'avais pour lui. J'étais bien aise qu'il réussît dans le
monde; mais je n'aurais pas voulu que ce fût en oubliant son ami.
Je lui dis un jour: Grimm, vous me négligez; je vous le pardonne:
quand la première ivresse des succès bruyants aura fait son effet
et que vous en sentirez le vide, j'espère que vous reviendrez à
moi, et vous me retrouverez toujours: quant à présent, ne vous
gênez point; je vous laisse libre, et je vous attends. Il me dit
que j'avais raison, s'arrangea en conséquence, et se mit si bien à
son aise, que je ne le vis plus qu'avec nos amis communs.
    Notre principal point de réunion, avant qu'il fût aussi lié avec
madame d'Épinay qu'il le

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