Les Confessions
que
de celle de M. de Tressan, de témoignages d'estime et de
considération dont je fus extrêmement flatté; et je sentis en cette
occasion que l'estime des hommes qui en sont si dignes eux-mêmes
produit dans l'âme un sentiment bien plus doux et plus noble que
celui de la vanité. J'ai transcrit dans mon recueil les lettres de
M. de Tressan avec mes réponses, et l'on en trouvera les originaux
dans la liasse A, nos 9, 10 et 11.
Je sens bien que si jamais ces mémoires parviennent à voir le
jour, je perpétue ici moi-même le souvenir d'un fait dont je
voulais effacer la trace; mais j'en transmets bien d'autres malgré
moi. Le grand objet de mon entreprise, toujours présent à mes yeux,
l'indispensable devoir de la remplir dans toute son étendue, ne
m'en laisseront point détourner par de plus faibles considérations
qui m'écarteraient de mon but. Dans l'étrange, dans l'unique
situation où je me trouve, je me dois trop à la vérité pour devoir
rien de plus à autrui. Pour me bien connaître, il faut me connaître
dans tous mes rapports, bons et mauvais. Mes confessions sont
nécessairement liées avec celles de beaucoup de gens: je fais les
unes et les autres avec la même franchise en tout ce qui se
rapporte à moi, ne croyant devoir à qui que ce soit plus de
ménagements que je n'en ai pour moi-même, et voulant toutefois en
avoir beaucoup plus. Je veux être toujours juste et vrai, dire
d'autrui le bien tant qu'il me sera possible, ne dire jamais que le
mal qui me regarde, et qu'autant que j'y suis forcé. Qui est-ce
qui, dans l'état où l'on m'a mis, a droit d'exiger de moi
davantage? Mes Confessions ne sont point faites pour paraître de
mon vivant, ni de celui des personnes intéressées. Si j'étais le
maître de ma destinée et de celle de cet écrit, il ne verrait le
jour que longtemps après ma mort et la leur. Mais les efforts que
la terreur de la vérité fait faire à mes puissants oppresseurs pour
en effacer les traces me forcent à faire, pour les conserver, tout
ce que me permettent le droit le plus exact et la plus sévère
justice. Si ma mémoire devait s'éteindre avec moi, plutôt que de
compromettre personne, je souffrirais un opprobre injuste et
passager sans murmure; mais puisque enfin mon nom doit vivre, je
dois tâcher de transmettre avec lui le souvenir de l'homme
infortuné qui le porta, tel qu'il fut réellement, et non tel que
d'injustes ennemis travaillent sans relâche à le peindre.
Livre IX
L'impatience d'habiter l'Ermitage ne me permit pas d'attendre le
retour de la belle saison; et sitôt que mon logement fut prêt, je
me hâtai de m'y rendre, aux grandes huées de la coterie
holbachique, qui prédisait hautement que je ne supporterais pas
trois mois de solitude, et qu'on me verrait dans peu revenir avec
ma courte honte, vivre comme eux à Paris. Pour moi, qui depuis
quinze ans hors de mon élément, me voyais près d'y rentrer, je ne
faisais pas même attention à leurs plaisanteries. Depuis que je
m'étais, malgré moi, jeté dans le monde, je n'avais cessé de
regretter mes chères Charmettes, et la douce vie que j'y avais
menée. Je me sentais fait pour la retraite et la campagne; il
m'était impossible de vivre heureux ailleurs: à Venise, dans le
train des affaires publiques, dans la dignité d'une espèce de
représentation, dans l'orgueil des projets d'avancement; à Paris,
dans le tourbillon de la grande société, dans la sensualité des
soupers, dans l'éclat des spectacles, dans la fumée de la gloriole,
toujours mes bosquets, mes ruisseaux, mes promenades solitaires,
venaient, par leur souvenir, me distraire, me contrister,
m'arracher des soupirs et des désirs. Tous les travaux auxquels
j'avais pu m'assujettir, tous les projets d'ambition, qui, par
accès, avaient animé mon zèle, n'avaient d'autre but que d'arriver
un jour à ces bienheureux loisirs champêtres, auxquels en ce moment
je me flattais de toucher. Sans m'être mis dans l'honnête aisance
que j'avais cru seule pouvoir m'y conduire, je jugeais, par ma
situation particulière, être en état de m'en passer, et pouvoir
arriver au même but par un chemin tout contraire. Je n'avais pas un
sou de rente: mais j'avais un nom, des talents; j'étais sobre, et
je m'étais ôté les besoins les plus dispendieux, tous ceux de
l'opinion. Outre cela, quoique paresseux, j'étais laborieux
cependant quand je voulais l'être; et ma paresse était moins celle
d'un fainéant, que celle d'un homme
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