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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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suite, pour l'avoir trop bien mérité.
    Ce mauvais succès ne m'aurait pas détourné d'exécuter ma
retraite à Genève, si des motifs plus puissants sur mon cœur n'y
avaient pas concouru. M. d'Épinay, voulant ajouter une aile qui
manquait au château de la Chevrette, faisait une dépense immense
pour l'achever. Étant allé voir un jour, avec madame d'Épinay, ces
ouvrages, nous poussâmes notre promenade un quart de lieue plus
loin, jusqu'au réservoir des eaux du parc, qui touchait la forêt de
Montmorency, et où était un joli potager, avec une petite loge fort
délabrée, qu'on appelait l'Ermitage. Ce lieu solitaire et très
agréable m'avait frappé quand je le vis pour la première fois,
avant mon voyage à Genève. Il m'était échappé de dire dans mon
transport: Ah! madame, quelle habitation délicieuse! Voilà un asile
tout fait pour moi. Madame d'Épinay ne releva pas beaucoup mon
discours; mais à ce second voyage je fus tout surpris de trouver,
au lieu de la vieille masure, une petite maison presque entièrement
neuve, fort bien distribuée, et très logeable pour un petit ménage
de trois personnes. Madame d'Épinay avait fait faire cet ouvrage en
silence et à très peu de frais, en détachant quelques matériaux et
quelques ouvriers de ceux du château. Au second voyage, elle me
dit, en voyant ma surprise: Mon ours, voilà votre asile; c'est vous
qui l'avez choisi, c'est l'amitié qui vous l'offre; j'espère
qu'elle vous ôtera la cruelle idée de vous éloigner de moi. Je ne
crois pas avoir été de mes jours plus vivement, plus délicieusement
ému; je mouillai de pleurs la main bienfaisante de mon amie, et si
je ne fus pas vaincu dès cet instant même, je fus extrêmement
ébranlé. Madame d'Épinay, qui ne voulait pas en avoir le démenti,
devint si pressante, employa tant de moyens, tant de gens pour me
circonvenir, jusqu'à gagner pour cela madame le Vasseur et sa
fille, qu'enfin elle triompha de mes résolutions. Renonçant au
séjour de ma patrie, je résolus, je promis d'habiter l'Ermitage;
et, en attendant que le bâtiment fût sec, elle prit le soin d'en
préparer les meubles, en sorte que tout fut prêt pour y entrer le
printemps suivant.
    Une chose qui aida beaucoup à me déterminer fut l'établissement
de Voltaire auprès de Genève. Je compris que cet homme y ferait
révolution; que j'irais retrouver dans ma patrie le ton, les airs,
les mœurs qui me chassaient de Paris; qu'il me faudrait batailler
sans cesse, et que je n'aurais d'autre choix dans ma conduite que
celui d'être un pédant insupportable ou un lâche et mauvais
citoyen. La lettre que Voltaire m'écrivit sur mon dernier ouvrage
me donna lieu d'insinuer mes craintes dans ma réponse; l'effet
qu'elle produisit les confirma. Dès lors je tins Genève perdue, et
je ne me trompai pas. J'aurais dû peut-être aller faire tête à
l'orage, si je m'en étais senti le talent. Mais qu'eussé-je fait
seul, timide et parlant très mal, contre un homme arrogant,
opulent, étayé du crédit des grands, d'une brillante faconde, et
déjà l'idole des femmes et des jeunes gens? Je craignis d'exposer
inutilement au péril mon courage: je n'écoutai que mon naturel
paisible, que mon amour du repos, qui, s'il me trompa, me trompe
encore aujourd'hui sur le même article. En me retirant à Genève,
j'aurais pu m'épargner de grands malheurs à moi-même; mais je doute
qu'avec tout mon zèle ardent et patriotique j'eusse fait rien de
grand et d'utile pour mon pays.
    Tronchin, qui, dans le même temps à peu près, fut s'établir à
Genève, vint quelque temps après à Paris faire le saltimbanque, et
en emporta des trésors. A son arrivée, il me vint voir avec le
chevalier de Jaucourt. Madame d'Épinay souhaitait fort de le
consulter en particulier, mais la presse n'était pas facile à
percer. Elle eut recours à moi. J'engageai Tronchin à l'aller voir.
Ils commencèrent ainsi, sous mes auspices, des liaisons qu'ils
resserrèrent ensuite à mes dépens. Telle a toujours été ma
destinée: sitôt que j'ai rapproché l'un de l'autre deux amis que
j'avais séparément, ils n'ont jamais manqué de s'unir contre moi.
Quoique, dans le complot que formaient dès lors les Tronchin
d'asservir leur patrie, ils dussent tous me haïr mortellement, le
docteur pourtant continua longtemps à me témoigner de la
bienveillance. Il m'écrivit même après mon retour à Genève, pour
m'y proposer la place de bibliothécaire honoraire. Mais mon

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