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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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quelque chose qu'elle ne
m'avait pas donné. A quoi bon m'avoir fait naître avec des facultés
exquises, pour les laisser jusqu'à la fin sans emploi? Le sentiment
de mon prix interne, en me donnant celui de cette injustice, m'en
dédommageait en quelque sorte, et me faisait verser des larmes que
j'aimais à laisser couler.
    Je faisais ces méditations dans la plus belle saison de l'année,
au mois de juin, sous des bocages frais, au chant du rossignol, au
gazouillement des ruisseaux. Tout concourut à me replonger dans
cette mollesse trop séduisante, pour laquelle j'étais né, mais dont
le ton dur et sévère, où venait de me monter une longue
effervescence, m'aurait dû délivrer pour toujours. J'allai
malheureusement me rappeler le dîner du château de Toune, et ma
rencontre avec ces deux charmantes filles, dans la même saison et
dans des lieux à peu près semblables à ceux où j'étais dans ce
moment. Ce souvenir, que l'innocence qui s'y joignait me rendait
plus doux encore, m'en rappela d'autres de la même espèce. Bientôt
je vis rassemblés autour de moi tous les objets qui m'avaient donné
de l'émotion dans ma jeunesse, mademoiselle Gallay, mademoiselle de
Graffenried, mademoiselle de Breil, madame Bazile, madame de
Larnage, mes jolies écolières, et jusqu'à la piquante Zulietta, que
mon cœur ne peut oublier. Je me vis entouré d'un sérail de houris,
de mes anciennes connaissances, pour qui le goût le plus vif ne
m'était pas un sentiment nouveau. Mon sang s'allume et pétille, la
tête me tourne malgré mes cheveux déjà grisonnants, et voilà le
brave citoyen de Genève, voilà l'austère Jean-Jacques, à près de
quarante-cinq ans, redevenu tout à coup le berger extravagant.
L'ivresse dont je fus saisi, quoique si prompte et si folle, fut si
durable et si forte, qu'il n'a pas moins fallu, pour m'en guérir,
que la crise imprévue et terrible des malheurs où elle m'a
précipité.
    Cette ivresse, à quelque point qu'elle fût portée, n'alla
pourtant pas jusqu'à me faire oublier mon âge et ma situation,
jusqu'à me flatter de pouvoir inspirer de l'amour encore, jusqu'à
tenter de communiquer enfin ce feu dévorant, mais stérile, dont
depuis mon enfance je sentais en vain consumer mon cœur. Je ne
l'espérai point, et je ne le désirai pas même. Je savais que le
temps d'aimer était passé; je sentais trop le ridicule des galants
surannés pour y tomber, et je n'étais pas homme à devenir
avantageux et confiant sur mon déclin, après l'avoir été si peu
durant mes belles années. D'ailleurs, ami de la paix, j'aurais
craint les orages domestiques; et j'aimais trop sincèrement ma
Thérèse pour l'exposer au chagrin de me voir porter à d'autres des
sentiments plus vifs que ceux qu'elle m'inspirait.
    Que fis-je en cette occasion? Déjà mon lecteur l'a deviné, pour
peu qu'il m'ait suivi jusqu'ici. L'impossibilité d'atteindre aux
êtres réels me jeta dans le pays des chimères; et ne voyant rien
d'existant qui fût digne de mon délire, je le nourris dans un monde
idéal que mon imagination créatrice eut bientôt peuplé d'êtres
selon mon cœur. Jamais cette ressource ne vint plus à propos et ne
se trouva si féconde. Dans mes continuelles extases, je m'enivrais
à torrents des plus délicieux sentiments qui jamais soient entrés
dans un cœur d'homme. Oubliant tout à fait la race humaine, je me
fis des sociétés de créatures parfaites, aussi célestes par leurs
vertus que par leurs beautés, d'amis sûrs, tendres, fidèles, tel
que je n'en trouvai jamais ici-bas. Je pris un tel goût à planer
ainsi dans l'empyrée, au milieu des objets charmants dont je
m'étais entouré, que j'y passais les heures, les jours, sans
compter; et, perdant le souvenir de toute autre chose, à peine
avais-je mangé un morceau à la hâte, que je brûlais de m'échapper
pour courir retrouver mes bosquets. Quand, prêt à partir pour le
monde enchanté, je voyais arriver de malheureux mortels qui
venaient me retenir sur la terre, je ne pouvais modérer ni cacher
mon dépit; et, n'étant plus maître de moi, je leur faisais un
accueil si brusque, qu'il pouvait porter le nom de brutal. Cela ne
fit qu'augmenter ma réputation de misanthropie, par tout ce qui
m'en eût acquis une bien contraire, si l'on eût mieux lu dans mon
cœur.
    Au fort de ma plus grande exaltation, je fus retiré tout d'un
coup par le cordon, comme un cerf-volant, et remis à ma place par
la nature, à l'aide d'une attaque assez

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