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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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de
pallier mon refus de raisons assez plausibles pour éloigner
l'injuste soupçon qu'elle pût y avoir part. Je lui dis qu'elle ne
m'imposait pas une tâche aisée; mais que, résolu d'expier mes torts
au prix même de ma réputation, je voulais donner la préférence à la
sienne, en tout ce que l'honneur me permettrait d'endurer. On
connaîtra bientôt si j'ai su remplir cet engagement.
    Je le puis jurer, loin que ma passion malheureuse eût rien perdu
de sa force, je n'aimai jamais ma Sophie aussi vivement, aussi
tendrement que je fis ce jour-là. Mais telle fut l'impression que
firent sur moi la lettre de Saint-Lambert, le sentiment du devoir
et l'horreur de la perfidie, que, durant toute cette entrevue, mes
sens me laissèrent pleinement en paix auprès d'elle, et que je ne
fus pas même tenté de lui baiser la main. En partant, elle
m'embrassa devant ses gens. Ce baiser, si différent de ceux que je
lui avais dérobés quelquefois sous les feuillages, me fut garant
que j'avais repris l'empire sur moi-même: je suis presque assuré
que si mon cœur avait eu le temps de se raffermir dans le calme, il
ne me fallait pas trois mois pour être guéri radicalement.
    Ici finissent mes liaisons personnelles avec madame d'Houdetot…
liaisons dont chacun a pu juger sur les apparences selon les
dispositions de son propre cœur, mais dans lesquelles la passion
que m'inspira cette aimable femme, passion la plus vive peut-être
qu'aucun homme ait jamais sentie, s'honorera toujours, entre le
ciel et nous, des rares et pénibles sacrifices faits par tous deux
au devoir, à l'honneur, à l'amour et à l'amitié. Nous nous étions
trop élevés aux yeux l'un de l'autre, pour pouvoir nous avilir
aisément. Il faudrait être indigne de toute estime, pour se
résoudre à en perdre une de si haut prix; et l'énergie même des
sentiments qui pouvaient nous rendre coupables fut ce qui nous
empêcha de le devenir.
    C'est ainsi qu'après une si longue amitié pour l'une de ces deux
femmes, et un si vif amour pour l'autre, je leur fis séparément mes
adieux en un même jour, à l'une pour ne la revoir de ma vie, à
l'autre pour ne la revoir que deux fois dans les occasions que je
dirai ci-après.
    Après leur départ, je me trouvai dans un grand embarras pour
remplir tant de devoirs pressants et contradictoires, suites de mes
imprudences. Si j'eusse été dans mon état naturel, après la
proposition et le refus du voyage de Genève, je n'avais qu'à rester
tranquille, et tout était dit. Mais j'en avais sottement fait une
affaire qui ne pouvait rester dans l'état où elle était, et je ne
pouvais me dispenser de toute ultérieure explication qu'en quittant
l'Ermitage; ce que je venais de promettre à madame d'Houdetot de ne
pas faire, au moins pour le moment présent. De plus, elle avait
exigé que j'excusasse auprès de mes soi-disant amis le refus de ce
voyage, afin qu'on ne lui imputât pas ce refus. Cependant je n'en
pouvais alléguer la véritable cause sans outrager madame d'Épinay,
à qui je devais certainement de la reconnaissance, après tout ce
qu'elle avait fait pour moi. Tout bien considéré, je me trouvais
dans la dure mais indispensable alternative de manquer à madame
d'Épinay, à madame d'Houdetot, ou à moi-même, et je pris le dernier
parti. Je le pris hautement, pleinement, sans tergiverser, et avec
une générosité digne assurément de laver les fautes qui m'avaient
réduit à cette extrémité. Ce sacrifice, dont mes ennemis ont su
tirer parti, et qu'ils attendaient peut-être, a fait la ruine de ma
réputation, et m'a ôté, par leurs soins, l'estime publique; mais il
m'a rendu la mienne, et m'a consolé dans mes malheurs. Ce n'est pas
la dernière fois, comme on verra, que j'ai fait de pareils
sacrifices, ni la dernière aussi qu'on s'en est prévalu pour
m'accabler.
    Grimm était le seul qui parût n'avoir pris aucune part dans
cette affaire, et ce fut à lui que je résolus de m'adresser. Je lui
écrivis une longue lettre, dans laquelle j'exposai le ridicule de
vouloir me faire un devoir de ce voyage de Genève, l'inutilité,
l'embarras même dont j'y aurais été à madame d'Épinay, et les
inconvénients qui en auraient résulté pour moi-même. Je ne résistai
pas, dans cette lettre, à la tentation de lui laisser voir que
j'étais instruit, et qu'il me paraissait singulier qu'on prétendît
que c'était à moi de faire ce voyage, tandis que lui-même s'en
dispensait, et qu'on ne faisait pas mention de

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