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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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devenaient
bêtes à force de vouloir être offensants. Il me défendait sa
présence comme il m'aurait défendu ses États. Il ne manquait à sa
lettre, pour faire rire, que d'être lue avec plus de sang-froid.
Sans la transcrire, sans même en achever la lecture, je la lui
renvoyai sur-le-champ avec celle-ci:
    "Je me refusais à ma juste défiance, j'achève trop tard de vous
connaître.
    Voilà donc la lettre que vous vous êtes donné le loisir de
méditer: je vous la renvoie; elle n'est pas pour moi. Vous pouvez
montrer la mienne à toute la terre, et me haïr ouvertement; ce sera
de votre part une fausseté de moins."
    Ce que je lui disais, qu'il pouvait montrer ma précédente
lettre, se rapportait à un article de la sienne sur lequel on
pourra juger de la profonde adresse qu'il mit à toute cette
affaire.
    J'ai dit que, pour des gens qui n'étaient pas au fait, ma lettre
pouvait donner sur moi bien des prises. Il le vit avec joie; mais
comment se prévaloir de cet avantage sans se compromettre? En
montrant cette lettre, il s'exposait au reproche d'abuser de la
confiance de son ami.
    Pour sortir de cet embarras, il imagina de rompre avec moi de la
façon la plus piquante qu'il fût possible, et de me faire valoir
dans sa lettre la grâce qu'il me faisait de ne pas montrer la
mienne. Il était bien sûr que, dans l'indignation de ma colère, je
me refuserais à sa feinte discrétion, et lui permettrais de montrer
ma lettre à tout le monde: c'était précisément ce qu'il voulait, et
tout arriva comme il l'avait arrangé. Il fit courir ma lettre dans
tout Paris, avec des commentaires de sa façon, qui pourtant
n'eurent pas tout le succès qu'il s'en était promis. On ne trouva
pas que la permission de montrer ma lettre, qu'il avait su
m'extorquer, l'exemptât du blâme de m'avoir si légèrement pris au
mot pour me nuire. On demandait toujours quels torts personnels
j'avais avec lui, pour autoriser une si violente haine. Enfin l'on
trouvait que, quand j'aurais eu de tels torts qui l'auraient obligé
de rompre, l'amitié, même éteinte, avait encore des droits qu'il
aurait dû respecter. Mais malheureusement Paris est frivole; ces
remarques du moment s'oublient; l'absent infortuné se néglige;
l'homme qui prospère en impose par sa présence; le jeu de
l'intrigue et de la méchanceté se soutient, se renouvelle, et
bientôt son effet, sans cesse renaissant, efface tout ce qui l'a
précédé.
    Voilà comment, après m'avoir si longtemps trompé, cet homme
enfin quitta pour moi son masque, persuadé que, dans l'état où il
avait amené les choses, il cessait d'en avoir besoin. Soulagé de la
crainte d'être injuste envers ce misérable, je l'abandonnai à son
propre cœur, et cessai de penser à lui. Huit jours après avoir reçu
cette lettre, je reçus de madame d'Épinay sa réponse, datée de
Genève, à ma précédente (liasse B, no 10). Je compris, au ton
qu'elle y prenait pour la première fois de sa vie, que l'un et
l'autre, comptant sur le succès de leurs mesures, agissaient de
concert, et que, me regardant comme un homme perdu sans ressource,
ils se livraient désormais sans risque au plaisir d'achever de
m'écraser.
    Mon état, en effet, était des plus déplorables. Je voyais
s'éloigner de moi tous mes amis, sans qu'il me fût possible de
savoir ni comment ni pourquoi. Diderot, qui se vantait de me
rester, de me rester seul, et qui depuis trois mois me promettait
une visite, ne venait point. L'hiver commençait à se faire sentir,
et avec lui les atteintes de mes maux habituels. Mon tempérament,
quoique vigoureux, n'avait pu soutenir les combats de tant de
passions contraires. J'étais dans un épuisement qui ne me laissait
ni force ni courage pour résister à rien; quand mes engagements,
quand les continuelles représentations de Diderot et de madame
d'Houdetot m'auraient permis en ce moment de quitter l'Ermitage, je
ne savais ni où aller ni comment me traîner. Je restais immobile et
stupide, sans pouvoir agir ni penser. La seule idée d'un pas à
faire, d'une lettre à écrire, d'un mot à dire, me faisait frémir.
Je ne pouvais cependant laisser la lettre de madame d'Épinay sans
réplique, à moins de m'avouer digne des traitements dont elle et
son ami m'accablaient. Je pris le parti de lui notifier mes
sentiments et mes résolutions, ne doutant pas un moment que, par
humanité, par générosité, par bienséance, par les bons sentiments
que j'avais cru voir en elle malgré les mauvais,

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