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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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tiendrait du prodige, pour
qui ne saurait pas quelle facilité tout ce qui favorise la
malignité des hommes trouve à s'établir. Il faut tâcher d'expliquer
en peu de mots ce que cet obscur et profond système a de visible à
mes yeux.
    Avec un nom déjà célèbre et connu dans toute l'Europe, j'avais
conservé la simplicité de mes premiers goûts. Ma mortelle aversion
pour tout ce qui s'appelait parti, faction, cabale, m'avait
maintenu libre, indépendant, sans autre chaîne que les attachements
de mon cœur. Seul, étranger, isolé, sans appui, sans famille, ne
tenant qu'à mes principes et à mes devoirs, je suivais avec
intrépidité les routes de la droiture, ne flattant, ne ménageant
jamais personne aux dépens de la justice et de la vérité. De plus,
retiré depuis deux ans dans la solitude, sans correspondance de
nouvelles, sans relation des affaires du monde, sans être instruit
ni curieux de rien, je vivais à quatre lieues de Paris, aussi
séparé de cette capitale par mon incurie, que je l'aurais été par
les mers dans l'île de Tinian.
    Grimm, Diderot, d'Holbach, au contraire, au centre du
tourbillon, vivaient répandus dans le plus grand monde, et s'en
partageaient presque entre eux toutes les sphères. Grands, beaux
esprits, gens de lettres, gens de robe, femmes, ils pouvaient de
concert se faire écouter partout. On doit voir déjà l'avantage que
cette position donne à trois hommes bien unis contre un quatrième,
dans celle où je me trouvais. Il est vrai que Diderot et d'Holbach
n'étaient pas (du moins je ne puis le croire) gens à tramer des
complots bien noirs; l'un n'en avait pas la méchanceté, ni l'autre
l'habileté: mais c'était en cela même que la partie était mieux
liée. Grimm seul formait son plan dans sa tête, et n'en montrait
aux deux autres que ce qu'ils avaient besoin de voir pour concourir
à l'exécution. L'ascendant qu'il avait pris sur eux rendait ce
concours facile, et l'effet du tout répondait à la supériorité de
son talent.
    Ce fut avec ce talent supérieur que, sentant l'avantage qu'il
pouvait tirer de nos positions respectives, il forma le projet de
renverser ma réputation de fond en comble, et de m'en faire une
tout opposée, sans se compromettre, en commençant par élever autour
de moi un édifice de ténèbres qu'il me fût impossible de percer
pour éclairer ses manœuvres, et pour le démasquer.
    Cette entreprise était difficile, en ce qu'il en fallait pallier
l'iniquité aux yeux de ceux qui devaient y concourir. Il fallait
tromper les honnêtes gens; il fallait écarter de moi tout le monde,
ne pas me laisser un seul ami, ni petit ni grand. Que dis-je! il ne
fallait pas laisser percer un seul mot de vérité jusqu'à moi. Si un
seul homme généreux me fût venu dire: Vous faites le vertueux,
cependant voilà comme on vous traite, et voilà sur quoi l'on vous
juge: qu'avez-vous à dire? La vérité triomphait, et Grimm était
perdu. Il le savait; mais il a sondé son propre cœur, et n'a estimé
les hommes que ce qu'ils valent. Je suis fâché, pour l'honneur de
l'humanité, qu'il ait calculé si juste.
    En marchant dans ces souterrains, ses pas, pour être sûrs,
devaient être lents. Il y a douze ans qu'il suit son plan, et le
plus difficile reste encore à faire: c'est d'abuser le public
entier. Il y reste des yeux qui l'ont suivi de plus près qu'il ne
pense. Il le craint, et n'ose encore exposer sa trame au grand
jour. Mais il a trouvé le peu difficile moyen d'y faire entrer la
puissance, et cette puissance dispose de moi. Soutenu de cet appui,
il avance avec moins de risque. Les satellites de la puissance se
piquant peu de droiture pour l'ordinaire, et beaucoup moins de
franchise, il n'a plus guère à craindre l'indiscrétion de quelque
homme de bien; car il a besoin surtout que je sois environné de
ténèbres impénétrables, et que son complot me soit toujours caché,
sachant bien qu'avec quelque art qu'il en ait ourdi la trame, elle
ne soutiendrait jamais mes regards. Sa grande adresse est de
paraître me ménager en me diffamant, et de donner encore à sa
perfidie l'air de la générosité.
    Je sentis les premiers effets de ce système par les sourdes
accusations de la coterie holbachique, sans qu'il me fût possible
de savoir ni de conjecturer même en quoi consistaient ces
accusations. Deleyre me disait dans ses lettres qu'on m'imputait
des noirceurs; Diderot me disait plus mystérieusement la même
chose; et quand j'entrais en

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