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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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croisés, à parler du temps qu'il fait et
des mouches qui volent, ou, qui pis est, à s'entre-faire des
compliments, cela m'est un supplice insupportable. Je m'avisai,
pour ne pas vivre en sauvage, d'apprendre à faire des lacets. Je
portais mon coussin dans mes visites, ou j'allais comme les femmes
travailler à ma porte et causer avec les passants. Cela me faisait
supporter l'inanité du babillage, et passer mon temps sans ennui
chez mes voisines, dont plusieurs étaient assez aimables et ne
manquaient pas d'esprit. Une entre autres, appelée Isabelle
d'Ivernois, fille du procureur général de Neuchâtel, me parut assez
estimable pour me lier avec elle d'une amitié particulière, dont
elle ne s'est pas mal trouvée par les conseils utiles que je lui ai
donnés, et par les soins que je lui ai rendus dans des occasions
essentielles; de sorte que maintenant, digne et vertueuse mère de
famille, elle me doit peut-être sa raison, son mari, sa vie et son
bonheur. De mon côté, je lui dois des consolations très douces, et
surtout durant un bien triste hiver, où, dans le fort de mes maux
et de mes peines, elle venait passer avec Thérèse et moi de longues
soirées qu'elle savait nous rendre bien courtes par l'agrément de
son esprit et par les mutuels épanchements de nos cœurs. Elle
m'appelait son papa, je l'appelais ma fille; et ces noms, que nous
nous donnons encore, ne cesseront point, je l'espère, de lui être
aussi chers qu'à moi. Pour rendre mes lacets bons à quelque chose,
j'en faisais présent à mes jeunes amies à leur mariage, à condition
qu'elles nourriraient leurs enfants. Sa sœur aînée en eut un à ce
titre, et l'a mérité; Isabelle en eut un de même, et ne l'a pas
moins mérité par l'intention; mais elle n'a pas eu le bonheur de
pouvoir faire sa volonté. En leur envoyant ces lacets, j'écrivis à
l'une et à l'autre des lettres, dont la première a couru le monde;
mais tant d'éclat n'allait pas à la seconde: l'amitié ne marche pas
avec si grand bruit.
    Parmi les liaisons que je fis à mon voisinage, et dans le détail
desquelles je n'entrerai pas, je dois noter celle du colonel Pury,
qui avait une maison sur la montagne, où il venait passer les étés.
Je n'étais pas empressé de sa connaissance, parce que je savais
qu'il était très mal à la cour et auprès de milord maréchal, qu'il
ne voyait point. Cependant, comme il vint me voir et me fit
beaucoup d'honnêtetés, il fallut l'aller voir à mon tour; cela
continua; et nous mangions quelquefois l'un chez l'autre. Je fis
chez lui connaissance avec M. du Peyrou, et ensuite une amitié trop
intime, pour que je puisse me dispenser de parler de lui.
    M. du Peyrou était Américain, fils d'un commandant de Surinam,
dont le successeur, M. le Chambrier, de Neuchâtel, épousa la veuve.
Devenue veuve une seconde fois, elle vint avec son fils s'établir
dans le pays de son second mari. Du Peyrou, fils unique, fort
riche, et tendrement aimé de sa mère, avait été élevé avec assez de
soin, et son éducation lui avait profité. Il avait acquis beaucoup
de demi-connaissances, quelque goût pour les arts, et il se piquait
surtout d'avoir cultivé sa raison: son air hollandais, froid et
philosophe, son teint basané, son humeur silencieuse et cachée
favorisaient beaucoup cette opinion. Il était sourd et goutteux,
quoique jeune encore. Cela rendait tous ses mouvements fort posés,
fort graves; et quoiqu'il aimât à disputer, quelquefois même un peu
longuement, généralement il parlait peu, parce qu'il n'entendait
pas. Tout cet extérieur m'en imposa. Je me dis: Voici un penseur,
un homme sage, tel qu'on serait heureux d'avoir un ami. Pour
achever de me prendre, il m'adressait souvent la parole, sans
jamais me faire aucun compliment. Il me parlait peu de moi, peu de
mes livres, très peu de lui; il n'était pas dépourvu d'idées, et
tout ce qu'il disait était assez juste. Cette justesse et cette
égalité m'attirèrent. Il n'avait dans l'esprit ni l'élévation, ni
la finesse de celui de milord maréchal; mais il en avait la
simplicité: c'était toujours le représenter en quelque chose. Je ne
m'engouai pas, mais je m'attachai par l'estime; et peu à peu cette
estime amena l'amitié. J'oubliai totalement avec lui l'objection
que j'avais faite au baron d'Holbach, qu'il était trop riche; et je
crois que j'eus tort. J'ai appris à douter qu'un homme jouissant
d'une grande fortune, quel qu'il puisse être, puisse aimer
sincèrement mes

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