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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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remplis ne demandait pas moins de force que les
actions héroïques; qu'on en tirait meilleur parti pour l'honneur et
pour le bonheur; et qu'il valait infiniment mieux avoir toujours
l'estime des hommes, que quelquefois leur admiration.
    Pour établir les devoirs de l'homme il fallait bien remonter à
leur principe. D'ailleurs le pas que je venais de faire, et dont
mon état présent était la suite, nous conduisait à parler de
religion. L'on conçoit déjà que l'honnête M. Gaime est, du moins en
grande partie, l'original du vicaire savoyard. Seulement la
prudence l'obligeant à parler avec plus de réserve, il s'expliqua
moins ouvertement sur certains points; mais au reste ses maximes,
ses sentiments, ses avis furent les mêmes, et, jusqu'au conseil de
retourner dans ma patrie, tout fut comme je l'ai rendu depuis au
public. Ainsi, sans m'étendre sur des entretiens dont chacun peut
voir la substance, je dirai que ses leçons, sages, mais d'abord
sans effet, furent dans mon cœur un germe de vertu et de religion
qui ne s'y étouffa jamais, et qui n'attendait pour fructifier que
les soins d'une main plus chérie.
    Quoique alors ma conversion fût peu solide, je ne laissais pas
d'être ému. Loin de m'ennuyer de ses entretiens, j'y pris goût à
cause de leur clarté, de leur simplicité, et surtout d'un certain
intérêt de cœur dont je sentais qu'ils étaient pleins. J'ai l'âme
aimante, et je me suis toujours attaché aux gens moins à proportion
du bien qu'ils m'ont fait que de celui qu'ils m'ont voulu; et c'est
sur quoi mon tact ne se trompe guère. Aussi je m'affectionnais
véritablement à M. Gaime; j'étais pour ainsi dire son second
disciple; et cela me fit pour le moment même l'inestimable bien de
me détourner de la pente au vice où m'entraînait mon oisiveté.
    Un jour que je ne pensais à rien moins, on vint me chercher de
la part du comte de la Roque. A force d'y aller et de ne pouvoir
lui parler, je m'étais ennuyé, et je n'y allais plus: je crus qu'il
m'avait oublié, ou qu'il lui était resté de mauvaises impressions
de moi. Je me trompais. Il avait été témoin plus d'une fois du
plaisir avec lequel je remplissais mon devoir auprès de sa tante;
il le lui avait même dit, et il m'en reparla quand moi-même je n'y
songeais plus. Il me reçut bien, me dit que, sans m'amuser de
promesses vagues, il avait cherché à me placer; qu'il avait réussi,
qu'il me mettait en chemin de devenir quelque chose, que c'était à
moi de faire le reste; que la maison où il me faisait entrer était
puissante et considérée; que je n'avais pas besoin d'autres
protecteurs pour m'avancer; et que quoique traité d'abord en simple
domestique, comme je venais de l'être, je pouvais être assuré que,
si l'on me jugeait par mes sentiments et par ma conduite au-dessus
de cet état, on était disposé à ne m'y pas laisser. La fin de ce
discours démentit cruellement les brillantes espérances que le
commencement m'avait données. Quoi! toujours laquais! me dis-je en
moi-même avec un dépit amer que la confiance effaça bientôt. Je me
sentais trop peu fait pour cette place pour craindre qu'on m'y
laissât.
    Il me mena chez le comte de Gouvon, premier écuyer de la reine,
et chef de l'illustre maison de Solar. L'air de dignité de ce
respectable vieillard me rendit plus touchante l'affabilité de son
accueil. Il m'interrogea avec intérêt, et je lui répondis avec
sincérité. Il dit au comte de la Roque que j'avais une physionomie
agréable, et qui promettait de l'esprit; qu'il lui paraissait qu'en
effet je n'en manquais pas, mais que ce n'était pas là tout, et
qu'il fallait voir le reste: puis, se tournant vers moi: Mon
enfant, me dit-il, presque en toutes choses les commencements sont
rudes; les vôtres ne le seront pourtant pas beaucoup. Soyez sage,
et cherchez à plaire ici à tout le monde; voilà, quant à présent,
votre unique emploi: du reste, ayez bon courage; on veut prendre
soin de vous. Tout de suite il passa chez la marquise de Breil, sa
belle-fille, et me présenta à elle, puis à l'abbé de Gouvon, son
fils. Ce début me parut de bon augure. J'en savais assez déjà pour
juger qu'on ne fait pas tant de façons à la réception d'un laquais.
En effet, on ne me traita pas comme tel. J'eus la table de
l'office, on ne me donna point d'habit de livrée; et le comte de
Favria, jeune étourdi, m'ayant voulu faire monter derrière son
carrosse, son grand-père défendit que je montasse derrière

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