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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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décider absolument, mais les
préjugés étaient pour moi. Dans le tracas où l'on était, on ne se
donna pas le temps d'approfondir la chose; et le comte de la Roque,
en nous renvoyant tous deux, se contenta de dire que la conscience
du coupable vengerait assez l'innocent. Sa prédiction n'a pas été
vaine; elle ne cesse pas un seul jour de s'accomplir.
    J'ignore ce que devint cette victime de ma calomnie; mais il n'y
a pas d'apparence qu'elle ait après cela trouvé facilement à se
bien placer: elle emportait une imputation cruelle à son honneur de
toutes manières. Le vol n'était qu'une bagatelle, mais enfin
c'était un vol, et, qui pis est, employé à séduire un jeune garçon:
enfin, le mensonge et l'obstination ne laissaient rien à espérer de
celle en qui tant de vices étaient réunis. Je ne regarde pas même
la misère et l'abandon comme le plus grand danger auquel je l'ai
exposée. Qui sait, à son âge, où le découragement de l'innocence
avilie a pu la porter! Eh! si le remords d'avoir pu la rendre
malheureuse est insupportable, qu'on juge de celui d'avoir pu la
rendre pire que moi!
    Ce souvenir cruel me trouble quelquefois, et me bouleverse au
point de voir dans mes insomnies cette pauvre fille venir me
reprocher mon crime comme s'il n'était commis que d'hier. Tant que
j'ai vécu tranquille il m'a moins tourmenté, mais au milieu d'une
vie orageuse il m'ôte la plus douce consolation des innocents
persécutés: il me fait bien sentir ce que je crois avoir dit dans
quelque ouvrage, que le remords s'endort durant un destin prospère,
et s'aigrit dans l'adversité. Cependant je n'ai jamais pu prendre
sur moi de décharger mon cœur de cet aveu dans le sein d'un ami. La
plus étroite intimité ne me l'a jamais fait faire à personne, pas
même à madame de Warens. Tout ce que j'ai pu faire a été d'avouer
que j'avais à me reprocher une action atroce, mais jamais je n'ai
dit en quoi elle consistait. Ce poids est donc resté jusqu'à ce
jour sans allégement sur ma conscience; et je puis dire que le
désir de m'en délivrer en quelque sorte a beaucoup contribué à la
résolution que j'ai prise d'écrire mes confessions.
    J'ai procédé rondement dans celle que je viens de faire, et l'on
ne trouvera sûrement pas que j'aie ici pallié la noirceur de mon
forfait. Mais je ne remplirais pas le but de ce livre, si je
n'exposais en même temps mes dispositions intérieures, et que je
craignisse de m'excuser en ce qui est conforme à la vérité. Jamais
la méchanceté ne fut plus loin de moi dans ce cruel moment; et
lorsque je chargeai cette malheureuse fille, il est bizarre, mais
il est vrai, que mon amitié pour elle en fut la cause. Elle était
présente à ma pensée; je m'excusai sur le premier objet qui
s'offrit. Je l'accusai d'avoir fait ce que je voulais faire, et de
m'avoir donné le ruban, parce que mon intention était de le lui
donner. Quand je la vis paraître ensuite, mon cœur fut déchiré;
mais la présence de tant de monde fut plus forte que mon repentir.
Je craignais peu la punition, je ne craignais que la honte; mais je
la craignais plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au
monde. J'aurais voulu m'enfoncer, m'étouffer dans le centre de la
terre: l'invincible honte l'emporta sur tout, la honte seule fit
mon impudence; et plus je devenais criminel, plus l'effroi d'en
convenir me rendait intrépide. Je ne voyais que l'horreur d'être
reconnu, déclaré publiquement, moi présent, voleur, menteur,
calomniateur. Un trouble universel m'ôtait tout autre sentiment. Si
l'on m'eût laissé revenir à moi-même, j'aurais infailliblement tout
déclaré. Si M. de la Roque m'eût pris à part, qu'il m'eût dit: Ne
perdez pas cette pauvre fille; si vous êtes coupable,
avouez-le-moi; je me serais jeté à ses pieds dans l'instant, j'en
suis parfaitement sûr. Mais on ne fit que m'intimider, quand il
fallait me donner du courage. L'âge est encore une attention qu'il
est juste de faire; à peine étais-je sorti de l'enfance, ou plutôt
j'y étais encore. Dans la jeunesse les véritables noirceurs sont
plus criminelles encore que dans l'âge mûr; mais ce qui n'est que
faiblesse l'est beaucoup moins, et ma faute au fond n'était guère
autre chose. Aussi son souvenir m'afflige-t-il moins à cause du mal
en lui-même qu'à cause de celui qu'il a dû causer. Il m'a même fait
ce bien de me garantir pour le reste de ma vie de tout acte tendant
au crime, par l'impression terrible qui m'est

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