Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
faisais là. On conçoit que ma réponse n'était pas prête.
Je me remis cependant; et, m'évertuant dans ce moment critique, je
tirai de ma tête un expédient romanesque qui me réussit. Je lui dis
d'un ton suppliant d'avoir pitié de mon âge et de mon état; que
j'étais un jeune étranger de grande naissance, dont le cerveau
s'était dérangé; que je m'étais échappé de la maison paternelle,
parce qu'on voulait m'enfermer; que j'étais perdu s'il me faisait
connaître; mais que s'il voulait bien me laisser aller, je pourrais
peut-être un jour reconnaître cette grâce. Contre toute attente,
mon discours et mon air firent effet: l'homme terrible en fut
touché, et après une réprimande assez courte il me laissa doucement
aller, sans me questionner davantage. A l'air dont la jeune et les
vieilles me virent partir, je jugeai que l'homme que j'avais tant
craint m'était fort utile, et qu'avec elles seules je n'en aurais
pas été quitte à si bon marché. Je les entendis murmurer je ne sais
quoi dont je ne me souciais guère; car, pourvu que le sabre et
l'homme ne s'en mêlassent pas, j'étais bien sûr, leste et vigoureux
comme j'étais, de me délivrer de leurs tricots et d'elles.
    Quelques jours après, passant dans une rue avec un jeune abbé,
mon voisin, j'allai donner du nez contre l'homme au sabre. Il me
reconnut, et, me contrefaisant d'un ton railleur: "Je suis prince,
me dit-il, je suis prince; et moi je suis un coïon: mais que son
altesse n'y revienne pas!" Il n'ajouta rien de plus, et je
m'esquivai en baissant la tête, et le remerciant dans mon cœur de
sa discrétion. J'ai jugé que ces mauvaises vieilles lui avaient
fait honte de sa crédulité. Quoi qu'il en soit, tout Piémontais
qu'il était, c'était un bon homme, et jamais je ne pense à lui sans
un mouvement de reconnaissance: car l'histoire était si plaisante,
que, pour le seul désir de faire rire, tout autre à sa place m'eût
déshonoré. Cette aventure, sans avoir les suites que j'en pouvais
craindre, ne laissa pas de me rendre sage pour longtemps.
    Mon séjour chez madame de Vercellis m'avait procuré quelques
connaissances, que j'entretenais dans l'espoir qu'elles pourraient
m'être utiles. J'allais voir quelquefois entre autres un abbé
savoyard appelé M. Gaime, précepteur des enfants du comte de
Mellarède. Il était jeune encore et peu répandu, mais plein de bon
sens, de probité, de lumières, et l'un des plus honnêtes hommes que
j'aie connus. Il ne me fut d'aucune ressource pour l'objet qui
m'attirait chez lui, il n'avait pas assez de crédit pour me placer;
mais je trouvai près de lui des avantages plus précieux qui m'ont
profité toute ma vie, les leçons de la saine morale, et les maximes
de la droite raison. Dans l'ordre successif de mes goûts et de mes
idées, j'avais toujours été trop haut ou trop bas, Achille ou
Thersite, tantôt héros et tantôt vaurien. M. Gaime prit le soin de
me mettre à ma place, et de me montrer à moi-même sans m'épargner
ni me décourager. Il me parla très honorablement de mon naturel et
de mes talents: mais il ajouta qu'il en voyait naître les obstacles
qui m'empêcheraient d'en tirer parti; de sorte qu'ils devaient,
selon lui, bien moins me servir de degrés pour monter à la fortune
que de ressources pour m'en passer. Il me fit un tableau vrai de la
vie humaine, dont je n'avais que de fausses idées; il me montra
comment, dans un destin contraire, l'homme sage peut toujours
tendre au bonheur et courir au plus près du vent pour y parvenir;
comment il n'y a point de vrai bonheur sans sagesse, et comment la
sagesse est de tous les états. Il amortit beaucoup mon admiration
pour la grandeur, en me prouvant que ceux qui dominaient les autres
n'étaient ni plus sages ni plus heureux qu'eux. Il me dit une chose
qui m'est souvent revenue à la mémoire: c'est que si chaque homme
pouvait lire dans les cœurs de tous les autres, il y aurait plus de
gens qui voudraient descendre que de ceux qui voudraient monter.
Cette réflexion, dont la vérité frappe, et qui n'a rien d'outré,
m'a été d'un grand usage dans le cours de ma vie pour me faire
tenir à ma place paisiblement. Il me donna les premières vraies
idées de l'honnête, que mon génie ampoulé n'avait saisi que dans
ses excès. Il me fit sentir que l'enthousiasme des vertus sublimes
était peu d'usage dans la société; qu'en s'élançant trop haut on
était sujet aux chutes; que la continuité des petits devoirs
toujours bien

Weitere Kostenlose Bücher