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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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cadet destiné par sa famille à
l'épiscopat, et dont par cette raison on avait poussé les études
plus qu'il n'est ordinaire aux enfants de qualité. On l'avait
envoyé à l'université de Sienne, où il avait resté plusieurs
années, et dont il avait rapporté une assez forte dose de
cruscantisme pour être à peu près à Turin ce qu'était jadis à Paris
l'abbé de Dangeau. Le dégoût de la théologie l'avait jeté dans les
belles-lettres; ce qui est très ordinaire en Italie à ceux qui
courent la carrière de la prélature. Il avait bien lu les poètes,
il faisait passablement des vers latins et italiens. En un mot, il
avait le goût qu'il fallait pour former le mien, et mettre quelque
choix dans le fatras dont je m'étais farci la tête. Mais, soit que
mon babil lui eût fait quelque illusion sur mon savoir, soit qu'il
ne pût supporter l'ennui du latin élémentaire, il me mit d'abord
beaucoup trop haut; et à peine m'eut-il fait traduire quelques
fables de Phèdre, qu'il me jeta dans Virgile, où je n'entendais
presque rien. J'étais destiné, comme on verra dans la suite, à
rapprendre souvent le latin et à ne le savoir jamais. Cependant je
travaillais avec assez de zèle, et monsieur l'abbé me prodiguait
ses soins avec une bonté dont le souvenir m'attendrit encore. Je
passais avec lui une partie de la matinée, tant pour mon
instruction que pour son service; non pour celui de sa personne,
car il ne souffrit jamais que je lui en rendisse aucun, mais pour
écrire sous sa dictée et pour copier; et ma fonction de secrétaire
me fut plus utile que celle d'écolier. Non seulement j'appris ainsi
l'italien dans sa pureté, mais je pris du goût pour la littérature
et quelque discernement des bons livres, qui ne s'acquérait pas
chez la Tribu, et qui me servit beaucoup dans la suite quand je me
mis à travailler seul.
    Ce temps fut celui de ma vie où, sans projets romanesques, je
pouvais le plus raisonnablement me livrer à l'espoir de parvenir.
Monsieur l'abbé, très content de moi, le disait à tout le monde; et
son père m'avait pris dans une affection si singulière, que le
comte de Favria m'apprit qu'il avait parlé de moi au roi. Madame de
Breil elle-même avait quitté pour moi son air méprisant. Enfin je
devins une espèce de favori dans la maison, à la grande jalousie
des autres domestiques, qui, me voyant honoré des instructions du
fils de leur maître, sentaient bien que ce n'était pas pour rester
longtemps leur égal.
    Autant que j'ai pu juger des vues qu'on avait sur moi par
quelques mots lâchés à la volée, et auxquels je n'ai réfléchi
qu'après coup, il m'a paru que la maison de Solar, voulant courir
la carrière des ambassades, et peut-être s'ouvrir de loin celle du
ministère, aurait été bien aise de se former d'avance un sujet qui
eût du mérite et des talents, et qui, dépendant uniquement d'elle,
eût pu dans la suite obtenir sa confiance et la servir utilement.
Ce projet du comte de Gouvon était noble, judicieux, magnanime, et
vraiment digne d'un grand seigneur bienfaisant et prévoyant: mais
outre que je n'en voyais pas alors toute l'étendue, il était trop
sensé pour ma tête, et demandait un trop long assujettissement. Ma
folle ambition ne cherchait la fortune qu'à travers les aventures:
et, ne voyant point de femme à tout cela, cette manière de parvenir
me paraissait lente, pénible et triste; tandis que j'aurais dû la
trouver d'autant plus honorable et sûre que les femmes ne s'en
mêlaient pas, l'espèce de mérite qu'elles protègent ne valant
assurément pas celui qu'on me supposait.
    Tout allait à merveille. J'avais obtenu, presque arraché
l'estime de tout le monde: les épreuves étaient finies, et l'on me
regardait généralement dans la maison comme un jeune homme de la
plus grande espérance, qui n'était pas à sa place et qu'on
s'attendait d'y voir arriver. Mais ma place n'était pas celle qui
m'était assignée par les hommes, et j'y devais parvenir par des
chemins bien différents. Je touche à un de ces traits
caractéristiques qui me sont propres, et qu'il suffit de présenter
au lecteur sans y ajouter de réflexion.
    Quoiqu'il y eût à Turin beaucoup de nouveaux convertis de mon
espèce, je ne les aimais pas, et je n'en avais jamais voulu voir
aucun. Mais j'avais vu quelques Genevois qui ne l'étaient pas,
entre autres un M. Mussard, surnommé Tord-Gueule, peintre en
miniature, et un peu mon parent. Ce M. Mussard déterra ma demeure
chez le

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