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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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belle étoile, et
dormant étendu par terre ou sur un banc, aussi tranquillement que
sur un lit de roses. Je me souviens même d'avoir passé une nuit
délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône
ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux. Des jardins
élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait
fait très chaud ce jour-là; la soirée était charmante; la rosée
humectait l'herbe flétrie; point de vent, une nuit tranquille;
l'air était frais sans être froid; le soleil, après son coucher,
avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion
rendait l'eau couleur de rose; les arbres des terrasses étaient
chargés de rossignols qui se répondaient de l'un à l'autre. Je me
promenais dans une sorte d'extase, livrant mes sens et mon cœur à
la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret
d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort
avant dans la nuit ma promenade, sans m'apercevoir que j'étais las.
Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la
tablette d'une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un
mur de terrasse; le ciel de mon lit était formé par les têtes des
arbres; un rossignol était précisément au-dessus de moi: je
m'endormis à son chant; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut
davantage. Il était grand jour: mes yeux, en s'ouvrant, virent
l'eau, la verdure, un paysage admirable. Je me levai, me secouai:
la faim me prit; je m'acheminai gaiement vers la ville, résolu de
mettre à un bon déjeuner deux pièces de six blancs qui me restaient
encore. J'étais de si bonne humeur, que j'allais chantant tout le
long du chemin; et je me souviens même que je chantais une cantate
de Batistin, intitulée les Bains de Thoméry, que je savais par
cœur. Que béni soit le bon Batistin et sa bonne cantate, qui m'a
valu un meilleur déjeuner que celui sur lequel je comptais, et un
dîner bien meilleur encore, sur lequel je n'avais point compté du
tout! Dans mon meilleur train d'aller et de chanter, j'entends
quelqu'un derrière moi: je me retourne; je vois un Antonin qui me
suivait, et qui paraissait m'écouter avec plaisir. Il m'accoste, me
salue, me demande si je sais la musique. Je réponds Un peu, pour
faire entendre beaucoup. Il continue à me questionner: je lui conte
une partie de mon histoire. Il me demande si je n'ai jamais copié
de la musique. Souvent, lui dis-je. Et cela était vrai, ma
meilleure manière de l'apprendre était d'en copier. Eh bien! me
dit-il, venez avec moi; je pourrai vous occuper quelques jours,
durant lesquels rien ne vous manquera, pourvu que vous consentiez à
ne pas sortir de la chambre. J'acquiesçai très volontiers, et je le
suivis.
    Cet Antonin s'appelait M. Rolichon; il aimait la musique, il la
savait, et chantait dans de petits concerts qu'il faisait avec ses
amis. Il n'y avait rien là que d'innocent et d'honnête; mais ce
goût dégénérait apparemment en fureur, dont il était obligé de
cacher une partie. Il me conduisit dans une petite chambre que
j'occupai, et où je trouvai beaucoup de musique qu'il avait copiée.
Il m'en donna d'autre à copier, particulièrement la cantate que
j'avais chantée, et qu'il devait chanter lui-même dans quelques
jours. J'en demeurai là trois ou quatre à copier tout le temps où
je ne mangeais pas, car de ma vie je ne fus si affamé ni mieux
nourri. Il apportait mes repas lui-même de leur cuisine; et il
fallait qu'elle fût bonne, si leur ordinaire valait le mien. De mes
jours, je n'eus tant de plaisir à manger; et il faut avouer aussi
que ces lippées me venaient fort à propos, car j'étais sec comme du
bois. Je travaillais presque d'aussi bon cœur que je mangeais, et
ce n'est pas peu dire. Il est vrai que je n'étais pas aussi correct
que diligent. Quelques jours après, M. Rolichon, que je rencontrai
dans la rue, m'apprit que mes parties avaient rendu la musique
inexécutable, tant elles s'étaient trouvées pleines d'omissions, de
duplications et de transpositions. Il faut avouer que j'ai choisi
là dans la suite le métier du monde auquel j'étais le moins propre:
non que ma note ne fût belle et que je ne copiasse fort nettement;
mais l'ennui d'un long travail me donne des distractions si
grandes, que je passe plus de temps à gratter qu'à noter, et que si
je n'apporte la plus grande attention à collationner mes parties,
elles font toujours manquer l'exécution. Je fis donc

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