Les Décombres
loin qu’une pareille pensée peut paraître d’une excentricité presque bouffonne. Mais les révolutionnaires semblent toujours excentriques, aussi longtemps qu’ils n’ont pas triomphé. Seuls les vieillards et les larves peuvent se figurer qu’ils ressusciteront le passé démocratique, dont ils gardent au milieu d’eux le cadavre putride. Un destin plein de mansuétude a ouvert maintes fois à la France le chemin de cette révolution, où elle n’a pas su s’engager. Aussi longtemps que des cœurs s’enflammeront chez nous pour cette espérance, qui pourrait affirmer que ce destin s’est lassé ?
Une telle révolution servira d’autant mieux la patrie que nous la ferons davantage nous-mêmes et qu’elle sera plus profonde et brutale. Elle est impossible sans violences et sans destructions radicales. On ne transige pas avec des adversaires tels que les Juifs, les prêtres, les comitards, les affairistes : on les écrase, on les plie à sa volonté. On n’accommode pas, on ne restaure pas une démocratie vieille d’un siècle et plus. La masure est inhabitable. Employez le ciment, les désinfectants que vous voudrez, les lézardes, les moisissures, la vermine y reparaîtront bientôt. On doit jeter par terre les pans de murs vermoulus. On n’agit point autrement lorsqu’on veut dresser un ensemble architectural qui soit à la fois rationnel et beau. Il n’est pas de révolution qui puisse laisser dans leur état présent ces réduits du vieux régime, l’Académie, Polytechnique, le Conseil d’État. Le Code doit être refondu comme la magistrature. Les cadres supérieurs de l’armée doivent être liquidés en masse, il faut promouvoir à leur place les colonels, les commandants, voire les capitaines qui ont encore un sang généreux et quelque imagination.
Des dizaines de journaux doivent être interdits, les empoisonneurs publics qui les rédigeaient chassés pour toujours d’une corporation dont ils ont été la honte. Plus la révolution sera chez nous socialiste et mieux elle s’imposera, parce qu’il est peu de pays où les oligarchies soient plus nombreuses et plus étouffantes. Il est superflu, au contraire, de s’attaquer aux fonctionnaires subalternes, qui doivent dans l’ensemble redevenir utilisables, après l’épuration rigoureuse de leurs cadres.
Mais qu’on ne l’oublie pas : les révolutions ne se baptisent point à l’eau bénite. Elles se baptisent dans le sang. Il est peu vraisemblable qu’une révolution nationale doive être chez nous désormais fort sanglante. Mais la mort est le seul châtiment que comprennent les peuples. La mort seule fait l’oubli sur l’ennemi.
Balzac dit quelque part que les femmes ne redoutent plus les menaces de mort depuis que les hommes n’ont plus l’épée au côté. Le gouvernement français, lui aussi, depuis trop longtemps, a posé son épée. Il faut qu’il la reprenne. Celui qui fusillerait demain cinq cents boutefeux, généraux, affameurs et gaullistes de haut poil, déterminerait, on peut le lui garantir, le plus satisfaisant des chocs psychologiques. Cette opération si utile fut manquée au lendemain de l’armistice. Mais les iniquités accumulées par Vichy appellent plus encore que celles de Quarante l’échafaud et le gibet.
Des hommes en place, fort intelligents, ont dépensé inlassablement leurs talents pour les biais, les manœuvres sinueuses, les intrigues ramifiées, les noyades de poisson dont la France est en train de mourir. Le gouvernement de l’autorité, s’exerçant par ses moyens naturels, est infiniment plus facile. Coupez à propos quelques têtes de gredins, prononcez des destitutions qui soient effectives, sans ces retraites, ces ridicules compensations que l’on octroie aux pires canailles, aux plus ridicules nullités et vous verrez se résoudre aussitôt les problèmes réputés insolubles des bureaux, de la police, de l’enseignement, de l’esprit public, de la discipline, de la confiance.
Notre révolution fasciste est encore et par-dessus tout une nécessité parce qu’il ne saurait y avoir sans elle de vrai pacifisme en France. Seule une France fasciste peut rejoindre le camp de la paix et de l’avenir, rompre avec le passé bourgeois et sanguinaire. Pour imposer silence aux vieilles cliques sans idées, incapables d’imaginer et de faire la paix avec nos voisins, il faut une poigne solide. Nous demeurons dans la situation paradoxale d’août 1939. Ce sont les mous, les
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