Les Décombres
contribution à ce diagnostic.
J’aurais voulu être requis par des besognes plus positives. Ces pages auront trompé un peu mon impatience. Mais que vienne donc enfin le temps de l’ action !
I ENTRE MAURRAS ET HITLER
CHAPITRE PREMIER -
DE MAYENCE AU PONT DE LA CONCORDE
Au début de septembre 1938, je revenais d’un assez beau voyage en Europe Centrale. C’était la sixième fois, en moins de quatre ans, que j’avais franchi les frontières du Reich. J’avais vu les villages, les auberges et les sommets de la Forêt Noire tout rouges des drapeaux à la Croix gammée, dans la semaine où Hitler se faisait élire à la Présidence. J’étais à Sarrebruck pour le plébiscite, sous deux pieds de neige, d’assez méchante humeur parmi cinq cents journalistes français, ignares, feignants, bourdonnants, des Helsey, des Andrée Viollis, des Sauerwein, des Louis Lévy, qui se disputaient sans répit au poker dice leurs frais de route, ramassaient chez les barmen des mégots de nouvelles et attendaient d’heure en heure le putsch antinazi de Max Braun, l’homme des démocraties dans ce lieu.
On disait Max Braun enfermé avec ses troupes dans une énorme maison du peuple, aux murailles mystérieuses et massives. Je ne sais trop quel Juif m’avait fait ouvrir cette citadelle du marxisme. J’y avais trouvé trois bambins jouant sur le carreau à la marelle, et cinq ou six petites gouapes à cravates rouges tapies au fond d’une cour, dans un réduit poussiéreux : « Ne croyez-vous pas que Max Braun est en train de flancher ? » demandais-je le soir même à l’honorable Louis Lévy du Populaire : « Max Braun est solide et ardent à son poste », me répondit Louis Lévy avec la hauteur de l’homme introduit, renseigné et écouté pour un débutant marmiteux. Deux jours plus tard, le quarteron des partisans de Braun franchissait nuitamment la frontière à toutes jambes. On les comptait le lendemain dans les bistrots de Forbach, pauvres diables livides, avec leurs hardes nouées dans un linge. Quant aux Juifs, leurs précautions étaient depuis beau temps prises. Dans le wagon qui me ramenait à Paris, deux retardataires de la race élue, chargés de ballots, jouaient sereinement aux cartes, en attendant de retrouver les cousins de la rue du Sentier et toutes les consolations de la République.
J’étais arrivé à Mayence et à Coblence, pour l’entrée de la Reichswehr en Rhénanie, mais en bien moins brillante et nombreuse compagnie. Beaucoup de mes confrères avaient sans doute supputé les dangers de ce vaste déploiement d’armes. Les journalistes juifs ne passaient plus volontiers ni même aisément les frontières de l’Allemagne. Ils supportaient mal que, sur leur ancienne terre d’élection, une espèce de privilège pût échoir ainsi aux chrétiens. La France ne devait plus avoir le droit de connaître sur l’Allemagne d’autre vérité que la leur. Ils distribuaient la plupart des commandes, ils donnaient le ton à Paris. Dans la liste des grands reportages, on avait donc biffé l’Allemagne. Elle proposait désormais trop de sujets d’affliction aux amateurs de mirages. La randonnée en Allemagne avait fait fureur quand il s’agissait de célébrer le libéralisme, la bonhomie, la culture, l’opulence de la démocratie fleurissant sur le sol natal de Karl Marx. Mais comme nos Juifs se voyaient refuser le cachet à croix gammée, ils avaient persuadé sans peine aux aryens que ce serait sur leurs passeports une dégoûtante souillure. Il fallait bien cependant que la grosse presse entretînt à Berlin quelques envoyés spéciaux. On les avait choisis parmi les judaïsants notoires, à peine tolérés par la Wilhelmstrasse, récoltant leurs documents dans les poubelles du ghetto berlinois. On ne niait plus les canons de l’Allemagne, et ses avions, et ses chars, mais on se refusait toujours à les compter sérieusement. Tant d’acier eût pesé trop lourd sur les rêves bibliques. La grande tâche était désormais de comploter à l’abri de quelque bonne frontière, en attendant avec la même fièvre la chute du monstre d’Hitlérie et l’an prochain à Jérusalem.
Deux jours après le passage du Rhin par la Reichswehr, je buvais du vin blanc à Coblence devant l’ancienne caserne du 23 e d’infanterie française. Sur le mur du pansage, on voyait encore, rayés à la craie, les noms des chevaux et des mulets de notre biffe : Friquette, Hanneton, Roussin. Et
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