Les Derniers Jours de Pompéi
aux flots immenses, son sort aurait eu l’air d’un petit naufrage isolé et le faire-valoir de l’intérêt de mon récit eût tout simplement détruit ou dominé la cause qu’il devait soutenir.
Je dus donc renoncer à cette excursion si tentante fût-elle, et limitant rigoureusement mon domaine à Pompéi, laisser à d’autres l’honneur de dépeindre la civilisation creuse mais majestueuse de Rome. Cette ville dont le sort me fournit une catastrophe si fantastique et si effroyable, me fournit aussi sans peine, au premier regard jeté sur ses ruines, les personnages les plus convenants au thème et à l’action. Cette à demi grecque colonie d’Héraclée, mâtinant d’une mode italienne tant de costumes de l’Hellade, suggéra d’elle-même les personnages de Glaucus et d’Ione. Le culte d’Isis, l’existence de son temple, ses oracles trompeurs dévoilés ; le commerce entre Pompéi et Alexandrie ; les associations du Sarnus avec le Nil, firent naître l’Égyptien Arbacès, le vil Calénus, le fervent Apaecidès. Les premières luttes entre le christianisme et la superstition païenne inspirèrent la création d’Olynthus, et les champs brûlés campaniens, longtemps célèbres par les incantations de la magicienne, produisirent naturellement la saga du Vésuve.
Quant à la jeune aveugle, je la dois à un gentleman bien connu des Anglais à Naples pour ses vastes connaissances générales. Au cours d’une conversation fortuite où il fut question de l’obscurité totale qui accompagna la première éruption connue du Vésuve, obstacle supplémentaire à la fuite des habitants, il me fit la remarque que les aveugles avaient dû être les plus favorisés en un pareil moment et dû trouver leur libération plus aisément ! Cette boutade donna lieu à la création de Nydie.
Ainsi donc, les héros sont les produits naturels du lieu et du temps. Les péripéties du récit sont également en accord avec cette société d’alors. Les habitudes de vie, les fêtes et le forum, les bains et l’amphithéâtre, le quotidien du luxe classique ne sont pas seuls appelés à témoigner du passé, mais aussi, d’importance égale et d’intérêt plus profond, les passions, les crimes, les infortunes et les revers qui purent être le lot des ombres rappelées ainsi à la vie. Nous comprenons mal toute époque au monde si nous ne scrutons pas jusqu’à ses intrigues. Il y a autant de vérité dans la poésie de la vie que dans sa prose.
Comme la plus grande difficulté dans le rendu d’une époque étrangère et lointaine est que les personnages soient mouvants et vivants sous les yeux du lecteur, c’est là, sans équivoque, le premier objectif d’une œuvre de ce genre ; et toute tentation d’exposer son érudition devrait être subordonnée à cette majeure nécessité de la fiction. Insuffler à ses créatures le souffle de vie est l’art premier du créateur, du Poète ; le second, qui est de les doter de mots et de gestes propres à l’époque de leurs paroles et de leurs actes, est peut-être mieux accompli à se faire oublier, en ne lardant ni le texte de citations ni ses marges de notes. L’esprit intuitif qui réinfuse l’antiquité dans des images anciennes, voilà, peut-être, le savoir vrai, requis par une œuvre de cette nature ! Sans lui, la pédanterie est offensante, ou inutile avec lui. Nul homme, conscient de ce qu’est maintenant devenue la Fiction en prose, n’oubliera, jusqu’à abaisser une telle nature au niveau de frivolités scolaires, les liens qu’elle entretient avec l’Histoire, la Philosophie et les Politiques, son total accord avec la Poésie et sa soumission à la Vérité, aussi élèvera-t-il l’érudition vers la créativité, plutôt que d’incliner la créativité vers la scolastique.
Quant au langage des héros, j’ai cherché à éviter avec soin ce qui m’a toujours semblé l’erreur fatale de ceux qui, aux temps modernes, ont tenté de faire connaître des êtres de l’âge classique {2} en leur attribuant les propos guindés, le solennel dialectique et froid d’un style calqué chez des écrivains classiques très admirés. Faire bavarder les Romains de la rue, en utilisant la période de Cicéron est une erreur aussi absurde que de prêter à des personnages romanesques anglais les interminables phrases de Burke ou de Johnson. La faute est plus grave en ce que cette prétention à faire preuve de savoir trahit en réalité
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