Les disparus
à plume Parker), Cher
Daniel, s'il te plaît, ne me pose plus de questions sur la mishpuchah, parce
que je suis un vieil homme et je ne peux plus me souvenir de rien, et de plus
es-tu bien sûr de vouloir retrouver d'autres parents ? ! – même
moi, je me sentais mal d'en parler de cette chose horrible qui était arrivée à
Shmiel, son propre frère. Tué par les nazis. Il m'était difficile, quand
j'étais enfant et que j'ai commencé à entendre le refrain sur Shmiel et sa
famille disparue, d'imaginer ce que cela signifiait exactement. Même par la
suite, après que j'ai été assez âgé pour avoir appris des choses sur la guerre,
vu des documentaires, regardé avec mes parents l'épisode d'une série
d'émissions intitulées The World at War, qui était précédé d'un
avertissement terrifiant sur le fait que certaines images du film pouvaient
être trop intenses pour de jeunes spectateurs – même après ça, il était
difficile d'imaginer comment ils avaient été tués, de saisir les détails, la
spécificité de la chose. Quand ? Où ? Comment ? Avec des fusils ? Dans les
chambres à gaz ? Mais mon grand-père ne le disait pas. Ce n'est que plus tard
que j'ai compris qu'il ne disait rien parce qu'il ne savait pas ou, du moins,
qu'il n'en savait pas assez et que le fait de ne pas savoir était ce qui, en
partie, le tourmentait.
Et donc je n'en parlais pas. Je me
contentais d'évoquer des sujets rassurants, de poser des questions qui
l'autorisaient à être drôle, ce qu'il aimait être, comme dans la lettre
suivante qu'il m'a écrite juste après mon quatorzième anniversaire :
20 mai 74
Cher Daniel,
Bien reçu ta lettre avec toutes
tes questions, mais, désolé, je n'ai pas été en mesure de te donner toutes les
réponses. J'ai noté que tu me demandais dans ta lettre si tu ne perturbais pas
mon
emploi du temps charg
é avec toutes tes questions, la réponse est
NON
J'ai noté que tu étais très
heureux du fait que je me suis souvenu du nom de la femme d'HERSH. Je suis
heureux aussi, parce que
Hersh
est mon grand-père et
Feige
est ma
grand-mère.
Maintenant, en ce qui concerne
les dates de Naissance de chacun d'eux, je ne sais pas parce que je n'étais pas
là, mais lorsque le
MESSIE
viendra et que tous les parents seront
Réunis, je le leur demanderai...
Un addendum figure dans
cette lettre et il est adressé à ma sœur et à mon plus jeune frère :
Très chère Jennifer et cher
Éric,
Nous vous remercions tous les
deux pour votre merveilleuse lettre, et nous sommes tout particulièrement
heureux parce que vous n'avez pas de questions à poser sur la
Mishpacha
.
CHÈRE JENNIFER
J'ALLAIS ENVOYER À TON FRÈRE
ÉRIC ET À TOI UN PEU D'ARGENT MAIS COMME TU LE SAIS JE NE TRAVAILLE
PAS ET JE N'AI PAS D’ARGENT. TANTE RAY VOUS AIME DONC BEAUCOUP TOUS LES DEUX,
ET TANTE RAY VOUS ENVOIE DEUX DOLLARS CI-JOINT, UN POUR TOI ET UN POUR ÉRIC.
AVEC NOTRE AMOUR ET NOS BAISERS
TANTE RAY ET GRANDPA JAEGER
Très chère Marlene
Sache que ce mardi 28, c'est
YISKOR...
Yiskor, yizkor : un service
commémoratif. Mon grand-père était toujours soucieux des morts. Chaque été,
lorsqu'il nous rendait visite, nous l'emmenions à Mount Judah pour voir ma
grand-mère et tous les autres. Nous, les enfants, nous courions un peu partout
et regardions d'un regard vide les noms sur les modestes pierres tombales et
les plaques, ou encore le monument géant, en forme d'arbre avec ses branches
élaguées, pour la commémoration de la sœur aînée de mon grand-père, qui était
morte à vingt-six ans, une semaine avant son mariage, du moins c'est ce
qu'avait l'habitude de me dire mon grand-père. Certaines de ces pierres
portaient des petits autocollants bleu électrique qui disaient soin
perpétuel , presque toutes affichaient des
prénoms comme stanley et irving et herman et mervin , comme sadie et pauline, prénoms
qui, pour les gens de ma génération, semblaient être la quintessence du prénom
juif, bien que, selon une de ces ironies que seul un certain passage du temps
peut éclaircir, les immigrants juifs d'il y a un siècle, nés avec des prénoms
comme selig et itzig et hercel et mordko, comme scheindel et perl ,
aient choisi les prénoms de leurs enfants précisément parce qu'ils leur
paraissaient très anglais, absolument non juifs. Nous nous promenions alentour
et regardions tout ça pendant que mon grand-père, toujours dans un manteau
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