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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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l'homme dont j'ai
tiré des centaines d'histoires et des milliers de détails au cours des années,
les noms de ses grands-parents et de ses grands-oncles et de ses tantes et de
ses cousins, les années de leur naissance et de leur mort, le nom de la bonne
ukrainienne qu'ils avaient eue quand ils étaient enfants à Bolechow (Lulka),
qui avait l'habitude de se plaindre du fait que les enfants avaient « des
puits sans fond » à la place de l'estomac, le genre de chapeau que son
père, mon arrière-grand-père, portait (des chapeaux mous – il avait été un
homme galant à barbichette, aimait dire de son père mon grand-père, un homme
plutôt important dans sa petite ville industrieuse, connu pour apporter des
bouteilles de Tokay de Hongrie à des partenaires d'affaires potentiels
« afin d'arrondir les angles » ; et il était mort brusquement à l'âge
de quarante-cinq ans d'une crise cardiaque, dans un spa au milieu des Carpates
appelé Jaremcze, où il était allé prendre les eaux pour sa santé ; c'était le
début des mauvaises années, la raison pour laquelle, à la fin, presque tous ses
enfants avaient dû quitter Bolechow). Grandpa me parlait du parc de la ville,
avec sa statue du grand poète polonais du XIX e siècle, Adam Mickiewicz, et du petit parc de l'autre côté
de la place avec son allée de tilleuls. Il récitait pour moi, et je les ai
appris, les mots de « Mayn Shtetele Belz », cette petite chanson
yiddish en forme de berceuse sur la ville proche de celle où il avait grandi,
que sa mère lui avait chantée, dix ans avant que sombre le Titanic -
     
    Mayn heymele, dort vu ikh hob
    Mayne kindershe yorn farbrakht.
    Belz, mayn shtetele Belz,
    In ormen shtibele mit ale
    Kinderlekh dort gelakht.
    Yedn shabes fleg ikh loyfin dort
    Mit der tichne glaych
    Tsu zitsen unter dem grinem
    Beymele, leyenen bay dem taykh.
    Belz, mayn shtetele Belz,
    Mayn heymele vu ch 'hob gehat
    Di sheyne khaloymes a sakh.
     
    Mon
petit foyer, où j'ai passé
    Mes
années d'enfance ;
    Belz,
mon shtetl Belz,
    Dans
un pauvre petit cottage avec tous
    Les
petits enfants j'ai ri.
    A
chaque Sabbat j'allais
    Avec
mon livre de prières
    M'asseoir
sous le petit arbre
    Vert,
et lire au bord de la rivière.
    Belz,
mon shtetl Belz,
    Mon
petit foyer, où j'ai fait autrefois
    Tant
de rêves magnifiques...
     
    — j'ai appris ces mots, que j'ai
récemment réentendus, bizarre expérience, pour la première fois depuis la mort
de mon grand-père, il y a vingt-cinq ans, lors d'une fête à thème sur les
« Sixties » dans une boîte à New York, et quand j'ai demandé au DJ où
il avait bien pu trouver cette chanson, il m'a tendu, sans cesser de tourner la
tête au rythme de l'étrange musique, la pochette usée d'un album de 1960 d'une
célèbre chanteuse pop italo-américaine, intitulé Connie Francis Sings Jewish
Favorites. Par mon grand-père, j'avais aussi entendu parler du vieil homme
des bois ukrainien vivant dans les montagnes au-dessus de Bolechow qui, la nuit
précédant Yom Kippour, en constatant qu'un calme inhabituel et, pour lui,
effrayant avait envahi les petites villes luisantes sous les collines boisées
des Carpates, alors que les Juifs des shtetls se préparaient pour la
redoutable fête, était descendu de la montagne pour s'installer dans la maison
d'un Juif accueillant, tant cette peur de paysan ukrainien, au cours de cette
nuit particulière de l'année, faisait redouter les Juifs et leur Dieu sombre.
    Les Ukrainiens, disait de temps à
autre mon grand-père, avec un petit soupir de lassitude, pendant qu'il racontait
cette histoire. Oukraiiiniens. Les Ukrainiens. Nos goyim.
    Il venait donc tous les étés à
Long Island et je m'asseyais à ses pieds pendant qu'il parlait. Il parlait de
cette sœur aînée qui était morte une semaine avant de se marier, et il parlait
de la jeune sœur qui avait été mariée, à l'âge de dix-neuf ans, au fiancé de la
sœur aînée, le bossu (disait mon grand-père), le cousin germain presque nain
que la première, puis la seconde, de ces filles adorables avait dû épouser
parce que, me racontait mon grand-père, le père de ce cousin hideux avait payé
les billets de bateau pour faire venir ces deux sœurs, leurs frères et leur
mère, avait fait venir toute la famille de mon grand-père aux Etats-Unis et
exigé une belle-fille superbe en guise de paiement. Il tenait des propos amers
sur la façon dont ce même cousin, qui était aussi une sorte de beau-frère,
avait

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