Les émeraudes Du Prophète
Alors il a fait le ménage parmi les descendants réels. C’était un homme cruel, d’une horrible méfiance et ce palais du désert en est la meilleure preuve.
— Le massacre des Innocents, c’était lui ?
— Non, son fils Hérode Agrippa I er , l’homme qui a donné la tête de saint Jean-Baptiste à sa belle-fille Salomé. Pour en revenir à son papa, il est très possible que celui-ci ait enfoui une poire pour la soif dans ce dramatique décor…
— Mais cette femme que nous avons aperçue, cette Kypros qui porte le nom de sa mère, d’où peut-elle bien sortir ?
— Va savoir ! On verra bien si on arrive à mettre la main dessus. En attendant, dînons et couchons-nous ! Je meurs de fatigue !
— Ce que c’est que d’être devenu un archéologue de salon ! On rouille… En revanche, je suis confondu par ton savoir. Y a-t-il, autour de la Méditerranée, une seule peuplade dont tu ne connaisses pas l’histoire antique ?
Adalbert s’étira en émettant un son de satisfaction, puis se mit à fourrager dans son épaisse tignasse d’un blond tirant un peu sur le gris, repoussa la mèche qui lui tombait sur le nez et, finalement, darda sur son ami un regard bleu plein de malice :
— Pourquoi seulement la Méditerranée ? Il m’est arrivé de me pencher aussi sur l’énigme de l’Atlantide, tu sais ?… J’avoue cependant qu’en ce qui concerne la Palestine, j’ai un peu revu ma copie en compagnie de sir Percival Clark. Un puits de science que cet homme-là. Dommage que sa santé le tienne cloué dans son fauteuil, sinon il aurait sûrement tenu à nous accompagner !
— Si ce n’était pas le cas, il ne t’aurait rien dit du tout. Les archéologues sont les gens les plus cachotiers du monde et, en général, ils se détestent entre eux…
— Exactement comme les antiquaires ! Et tu n’as pas tout à fait tort mais comme jusqu’à présent il n’existe pas d’École française de Palestine, que les Anglais tiennent tout le pays, je crois qu’il n’est pas fâché qu’une sorte de franc-tireur sans grands moyens s’intéresse à ses travaux et à la question de Massada qui le passionne. Je lui ai promis des photos pour qu’il voie dans quel état est le site… Et maintenant, plus de questions ! Je dors…
Aldo, lui, n’avait pas sommeil. Adalbert ronflait depuis longtemps qu’il contemplait encore le ciel, assis sur un fût de colonne en fumant cigarette sur cigarette pour tenter de calmer une nervosité qu’il avait du mal à maîtriser. Jamais il ne s’était senti à ce point misérable et fragile avec ce terrible sentiment d’impuissance accroché à lui depuis qu’on lui avait pris Lisa. La splendeur de la nuit étoilée qui l’enveloppait aussi complètement que s’il eut été seul sur le pont d’un navire en pleine mer ne l’apaisait pas, justement parce qu’elle l’obligeait à mesurer le peu d’importance de sa personne en face de l’immensité. Peut-être aussi était-il accablé par les dimensions des ruines et ne voyait-il pas quel fil conducteur menant à ces fichus « sorts sacrés » on pourrait bien y trouver… Le cri d’un chacal quelque part dans le désert ne contribua pas à lui remonter le moral : il y vit un mauvais présage et se signa précipitamment comme n’importe quel Italien superstitieux…
Ce fut ce geste qui le fit sortir enfin de ce marais d’angoisse où il marinait depuis qu’on lui avait enlevé Lisa. Non parce que l’ayant fait il se sentit soudain sous la protection divine, mais parce qu’il le rendit à lui-même : le dernier d’une longue lignée d’hommes – de femmes aussi ! – qui avaient su se battre, mais aussi un être qui avait toujours affronté l’adversité avec ce sourire nonchalant qui séduisait tant de gens. Et s’il ne pouvait être question de sourire cette fois, il restait que son accablement et ses pensées négatives étaient peut-être bien en train d’offenser Dieu parce qu’il était loin d’être engagé seul dans cette bataille : il y avait Adalbert dont les ronflements réguliers avaient quelque chose de serein, il y avait Marie-Angéline, cette drôle de vieille fille qui lui avait si soudain apporté le plus inattendu des coups de main ; il y avait Tante Amélie capable de remuer le monde pour le neveu qu’elle aimait ; il y avait cet Écossais amoureux prêt à se dévouer sans compter pour une femme dont il savait très bien qu’il n’obtiendrait
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