Les Essais, Livre II
facultez ne se
corrompent, confondent, et alterent l'une l'autre ? Quoy, que
l'execution de cette ordonnance despend d'un autre officier, à la
foy et mercy duquel nous abandonnons encore un coup nostre
vie ?
Comme nous avons des pourpointiers, des chaussetiers pour nous
vestir ; et en sommes d'autant mieux servis, que chacun ne se
mesle que de son subject, et a sa science plus restreinte et plus
courte, que n'a un tailleur, qui embrasse tout. Et comme, à nous
nourrir, les grands, pour plus de commodité ont des offices
distinguez de potagers et de rostisseurs, dequoy un cuisinier, qui
prend la charge universelle, ne peut si exquisement venir à bout.
De mesme à nous guairir, les Ægyptiens avoient raison de rejecter
ce general mestier de medecin, et descoupper cette profession à
chasque maladie, à chasque partie du corps son oeuvrier. Car cette
partie en estoit bien plus proprement et moins confusement
traictée, de ce qu'on ne regardoit qu'à elle specialement. Les
nostres ne s'advisent pas, que, qui pourvoid à tout, ne pourvoid à
rien : que la totale police de ce petit monde, leur est
indigestible. Cependant qu'ils craignent d'arrester le cours d'un
dysenterique, pour ne luy causer la fievre, ils me tuerent un amy,
qui valoit mieux, que tout tant qu'ils sont. Ils mettent leurs
divinations au poids, à l'encontre des maux presents : et pour
ne guarir le cerveau au prejudice de l'estomach, offencent
l'estomach, et empirent le cerveau, par ces drogues tumultuaires et
dissentieuses.
Quant à la varieté et foiblesse des raisons de cet' art, elle
est plus apparente qu'en aucun' autre art. Les choses aperitives
sont utiles à un homme coliqueux, d'autant qu'ouvrans les passages
et les dilatans, elles acheminent cette matiere gluante, de
laquelle se bastit la grave, et la pierre, et conduisent
contre-bas, ce qui se commence à durcir et amasser aux reins. Les
choses aperitives sont dangereuses à un homme coliqueux, d'autant
qu'ouvrans les passages et les dilatans, elles acheminent vers les
reins, la matiere propre à bastir la grave, lesquels s'en
saisissans volontiers pour cette propension qu'ils y ont, il est
mal aisé qu'ils n'en arrestent beaucoup de ce qu'on y aura charrié.
D'avantage, si de fortune il s'y rencontre quelque corps, un peu
plus grosset qu'il ne faut pour passer tous ces destroicts, qui
restent à franchir pour l'expeller au dehors, ce corps estant
esbranlé par ces choses aperitives, et jetté dans ces canaux
estroits, venant à les boucher, acheminera une certaine mort et
tres-douloureuse.
Ils ont une pareille fermeté aux conseils qu'ils nous donnent de
nostre regime de vivre : il est bon de tomber souvent de
l'eau, car nous voyons par experience, qu'en la laissant croupir,
nous luy donnons loisir de se descharger de ses excremens, et de sa
lye, qui servira de matiere à bastir la pierre en la vessie :
Il est bon de ne tomber point souvent de l'eau, car les poisans
excrements qu'elle traine quant et elle, ne s'emporteront point,
s'il n'y a de la violence, comme on void par experience, qu'un
torrent qui roule avecques roideur, baloye bien plus nettement le
lieu où il passe, que ne fait le cours d'un ruisseau mol et lasche.
Pareillement, il est bon d'avoir souvent affaire aux femmes, car
cela ouvre les passages, et achemine la grave et le sable. Il est
bien aussi mauvais, car cela eschauffe les reins, les lasse et
affoiblit. Il est bon de se baigner aux eaux chaudes, d'autant que
cela relasche et amollit les lieux, où se croupit le sable et la
pierre : Mauvais aussi est-il, d'autant que cette application
de chaleur externe, aide les reins à cuire, durcir, et petrifier la
matiere qui y est disposée. A ceux qui sont aux bains, il est plus
salubre de manger peu le soir, affin que le breuvage des eaux
qu'ils ont à prendre lendemain matin, face plus d'operation,
rencontrant l'estomach vuide, et non empesché : Au rebours, il
est meilleur de manger peu au disner, pour ne troubler l'operation
de l'eau, qui n'est pas encore parfaite, et ne charger l'estomach
si soudain, apres cet autre travail, et pour laisser l'office de
digerer, à la nuict, qui le sçait mieux faire que ne fait le jour,
où le corps et l'esprit, sont en perpetuel mouvement et action.
Voila comment ils vont bastelant, et baguenaudant à noz despens
en tous leurs discours, et ne me sçauroient fournir proposition, à
laquelle je n'en rebastisse une contraire, de pareille force.
Qu'on ne crie donc plus apres ceux
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