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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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qui en ce trouble, se
laissent doucement conduire à leur appetit et au conseil de nature,
et se remettent à la fortune commune.
    J'ay veu par occasion de mes voyages, quasi tous les bains
fameux de Chrestienté ; et depuis quelques années ay commencé
à m'en servir : Car en general j'estime le baigner salubre, et
croy que nous encourons non legeres incommoditez, en nostre santé,
pour avoir perdu cette coustume, qui estoit generalement observée
au temps passé, quasi en toutes les nations, et est encores en
plusieurs, de se laver le corps tous les jours : et ne puis
pas imaginer que nous ne vaillions beaucoup moins de tenir ainsi
noz membres encroustez, et noz pores estouppez de crasse. Et quant
à leur boisson, la fortune a faict premierement, qu'elle ne soit
aucunement ennemie de mon goust : secondement elle est
naturelle et simple, qui aumoins n'est pas dangereuse, si elle est
vaine. Dequoy je prens pour respondant, cette infinité de peuples
de toutes sortes et complexions, qui s'y assemble. Et encores que
je n'y aye apperceu aucun effect extraordinaire et
miraculeux : ains que m'en informant un peu plus curieusement
qu'il ne se faict, j'aye trouvé mal fondez et faux, tous les bruits
de telles operations, qui se sement en ces lieux là, et qui s'y
croyent (comme le monde va se pippant aisément de ce qu'il desire.)
Toutesfois aussi, n'ay-je veu guere de personnes que ces eaux ayent
empiré ; et ne leur peut-on sans malice refuser celà, qu'elles
n'esveillent l'appetit, facilitent la digestion, et nous prestent
quelque nouvelle allegresse, si on n'y va par trop abbatu de
forces ; ce que je desconseille de faire. Elles ne sont pas
pour relever une poisante ruyne : elles peuvent appuyer une
inclination legere, ou prouvoir à la menace de quelque alteration.
Qui n'y apporte assez d'allegresse, pour pouvoir jouyr le plaisir
des compagnies qui s'y trouvent, et des promenades et exercices, à
quoy nous convie la beauté des lieux, où sont communément assises
ces eaux, il perd sans doubte la meilleure piece et plus asseurée
de leur effect. A cette cause j'ay choisi jusques à cette heure, à
m'arrester et à me servir de celles, où il y avoit plus d'amoenité
de lieu, commodité de logis, de vivres et de compagnies, comme sont
en France, les bains de Banieres : en la frontiere
d'Allemaigne, et de Lorraine, ceux de Plombieres : en Souysse,
ceux de Bade : en la Toscane, ceux de Lucques ; et
specialement ceux
della Villa
, desquels j'ay usé plus
souvent, et à diverses saisons.
    Chasque nation a des opinions particulieres, touchant leur
usage, et des loix et formes de s'en servir, toutes diverses :
et selon mon experience l'effect quasi pareil. Le boire n'est
aucunement receu en Allemaigne. Pour toutes maladies, ils se
baignent, et sont à grenouiller dans l'eau, quasi d'un soleil à
l'autre. En Italie, quand ils boivent neuf jours, ils s'en baignent
pour le moins trente ; et communément boivent l'eau mixtionnée
d'autres drogues, pour secourir son operation. On nous ordonne icy,
de nous promener pour la digerer : là on les arreste au lict,
où ils l'ont prise, jusques à ce qu'ils l'ayent vuidée, leur
eschauffant continuellement l'estomach, et les pieds : Comme
les Allemans ont de particulier, de se faire generalement tous
corneter et vantouser, avec scarification dans le bain :
ainsin ont les Italiens leur
doccie
, qui sont certaines
gouttieres de cette eau chaude, qu'ils conduisent par des cannes,
et vont baignant une heure le matin, et autant l'apres disnée, par
l'espace d'un mois, ou la teste, ou l'estomach, ou autre partie du
corps, à laquelle ils ont affaire. Il y a infinies autres
differences de coustumes, en chasque contrée : ou pour mieux
dire, il n'y a quasi aucune ressemblance des unes aux autres. Voylà
comment cette partiede medecine, à laquelle seule je me suis laissé
aller, quoy qu'elle soit la moins artificielle, si a elle sa bonne
part de la confusion et incertitude, qui se voit par tout ailleurs
en cet art.
    Les poëtes disent tout ce qu'ils veulent, avec plus d'emphase et
de grace ; tesmoing ces deux epigrammes.
    Alcon hesterno signum Jovis
attigit. Ille
Quamvis marmoreus, vim patitur medici.
Ecce hodie jussus transferri ex æde vetusta,
Effertur, quamvis sit Deus atque lapis
.
    Et l'autre,
    Lotus nobiscum est hilaris,
coenavit et idem,
Inventus mane est mortuus Andragoras.
Tam subitæ mortis causam Faustine requiris ?
In somnis medicum viderat Hermocratem
.
    Sur

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