Les fils de Bélial
Le jeudi 16 mai 1364, Tristan de Castelreng fait partie des chevaucheurs que Bertrand Guesclin délègue à Reims afin d’annoncer la victoire de Cocherel à Charles V sur le point d’être couronné roi de France (384) . La cérémonie du sacre achevée, le jeune chevalier se hâte de revenir en Normandie pour délivrer du château de Ganne la jouvencelle qui lui a sauvé la vie lors d’une mission périlleuse en Angleterre. Unique enfant d’Ogier d’Argouges, un baron du Cotentin, Luciane avait été enlevée par des Navarrais. Peu après sa libération. Tristan l’épouse.
Les mois qui suivent ce mariage sont des plus heureux et paisibles. Sans jamais renier son Languedoc natal, Tristan intègre tant bien que mal l’existence des bonnes gens de Gratot, la demeure de son beau-père. Ogier d’Argouges, que Philippe VI, naguère, s’était choisi pour champion, en fait parfois son confident. Des idées et des sentiments communs renforcent jour après jour l’amitié de l’Ancien et de son gendre, notamment la détestation du vainqueur de Cocherel dont, par malheur, ils croiseront le chemin.
Le 18 juin 1365, conséquence de cette rencontre, des chevaliers se présentent à Gratot. Ils sont porteurs d’un mandement du roi signifiant aux deux hommes de rejoindre les capitaines d’une armée qui, sous la conduite de Guesclin, va faire mouvement vers l’Espagne. Honnis quelques seigneurs de grande renommée, cet ost singulier se compose d’environ 10 000 Tard-Venus et autres malandrins qui, depuis la honteuse débandade de Poitiers et la non moins honteuse défaite de Brignais, n’ont cessé de dépecer la France. C’est pour purger le pays de cette racaille que Charles V (385) a fait en sorte de les envoyer en Espagne. Conduits par un homme à leur semblance, les routiers installeront Henri de Trastamare (386) sur le trône de son demi-frère, Pèdre I er , dit « le Cruel », légitime roi de Castille. Ensuite, s’ils le peuvent, ils bouteront hors de la péninsule les derniers Maures de Grenade.
Les Pyrénées franchies – après que Guesclin eut rançonné deux fois le Pape en Avignon – Tristan et son beau-père s’aperçoivent que le Breton et les chefs suprêmement abominables qu’il a su rassembler sont moins enclins à respecter leurs engagements qu’à piller, incendier, violer comme devant. Ils ajoutent à leurs excès l’extermination des Juifs que la rumeur en partie fondée, mais exagérée, prétend solidement accointés au roi de Castille en fuite.
Le jeune chevalier et l’ancien champion de Philippe VI n’assistent pas au massacre des Juifs de Barbastro, Borja. Magallôn, mais ils sont les témoins impuissants de la cruauté des routiers et des grands seigneurs de l’armée « française » à Briviesca. Bien que les défenseurs de cette cité aient capitulé après une maigre résistance, le futur connétable met le feu lui-même à une tour qu’il a fait ceindre de fagots et dans laquelle deux cents Juifs se sont réfugiés. C’est à Briviesca, le lendemain de cette atrocité, qu’Ogier d’Argouges meurt après avoir été victime d’un coup de traîtrise.
Contre son gré, Tristan suit les singuliers « croisés ». En quelques semaines, ils se sont fait une réputation tellement exécrable que les habitants de Burgos, prévenus de leur approche, s’empressent d’envoyer à leur rencontre une représentation importante après avoir énormément taxé (387) , en signe de soumission et de bienvenue, les Juifs de leur cité. L’un d’eux, Joachim Pastor dans la maison duquel Tristan et ses compagnons ont trouvé un accueil courtois, n’a pas dissimulé son inquiétude à ses hôtes : son fils et sa bru ont péri dans la tour-crématoire de Briviesca. Il craint pour la vie de ses petits-enfants : Simon, très jeune, et Teresa, une jouvencelle. Les Français ne sont-ils pas réputés pour leurs expéditions punitives contre les juiveries des cités qui les reçoivent ou qu’ils ont conquises ?
Tristan se montre sensible au désarroi du vieillard. Que va-t-il se passer en ville si le Trastamare – qui se flatte d’avoir fait occire, un jour, 1 200 Juifs de Tolède – décide d’inaugurer son règne par le feu et par l’épée ? En dépit de l’énorme contribu tion réclamée aux Juifs pour leur salut, les Compagnies, qui ne sont grandes que dans la férocité, ne vont-elles pas se répandre dans les rues pour y commettre les énormités dont
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