Les fils de la liberté
moins possible l’attention, William jugea préférable de glisser la griffe d’ours sous sa chemise où elle se balança à l’abri des regards aux côtés de son rosaire.
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Compte à rebours
Fort Ticonderoga, 18 juin 1777
Chers Bree et Roger,
Plus que vingt-trois jours. J’espère que nous pourrons partir à la date prévue. Ian a quitté le fort il y a un mois pour « régler une affaire personnelle » mais a promis d’être de retour avant la fin de la période d’engagement de Jamie dans la milice. Lui-même n’a pas voulu s’enrôler, s’étant plutôt porté volontaire pour des expéditions de ravitaillement. Techniquement, il n’a donc pas abandonné son poste même si le commandant du fort n’est plus en position de faire quoi que ce soit contre les déserteurs, hormis pendre ceux qui seraient assez stupides pour revenir, ce qui n’arrive jamais. Je ne sais pas trop ce que mijote Ian mais j’ai bon espoir que ce soit bénéfique pour lui.
En parlant de commandant, nous venons d’en changer. Branle-bas de combat dans le fort ! Le colonel Wayne nous a quittés il y a quelques semaines, sans doute dégoulinant de soulagement autant que de transpiration, mais nous y avons gagné en échelons. Notre nouveau commandant n’est rien de moins qu’un général de brigade : Arthur St. Clair, un Ecossais cordial et très séduisant, au charme encore accentué par l’écharpe rose qu’il porte pour les grandes occasions. (L’un des avantages d’appartenir à une armée provisoire c’est que, apparemment, chacun est libre de dessiner son uniforme. On est loin des vieilles tenues régimentaires guindées de l’armée de Sa Majesté.)
St. Clair est arrivé accompagné de pas moins de trois autres généraux d’un grade inférieur, dont un Français (selon Jamie, le général Roche de Fermoy est un piètre militaire), et d’environ trois mille nouvelles recrues. Cela a considérablement remonté le moral de tout le monde (même si ce n’est pas sans poser quelques problèmes de logistique en matière de latrines. Il y a des queues interminables le matin et nous souffrons d’une sérieuse pénurie de pots de chambre). St. Clair a prononcé un beau discours, assurant à tous que, désormais, le fort ne pourrait plus être repris. Votre père, qui se trouvait près de lui, a marmonné quelque chose en gaélique dans sa barbe. Le général est né à Thurso, en Ecosse, mais il a fait mine de ne pas comprendre.
La construction du pont entre le fort et Mount Independence se poursuit… et Mount Defiance continue de nous narguer de l’autre côté du lac. Jamie a demandé à M. Marsden de s’y rendre en barque, de grimper au sommet et d’y installer une cible, un carré de bois d’un mètre et quelques de côté, peint en blanc, là où elle serait clairement visible depuis les batteries du fort. Il a ensuite invité le général Fermoy (qui, lui, ne porte pas d’écharpe rose bien qu’il soit français) à essayer l’un des nouveaux fusils confisqués dans la cale du Teal (votre père a eu la bonne idée d’en mettre quelques-uns à gauche avant de livrer patriotiquement le reste à l’armée américaine). Fermoy et lui ont fait voler la cible en éclats, une prouesse dont la signification n’a pas échappé à St. Clair qui assistait à la démonstration. Je crois que le général sera presque aussi soulagé que moi quand la période d’engagement de Jamie sera terminée.
Les nouvelles recrues ont entraîné un surcroît de travail. La plupart d’entre elles sont raisonnablement en bonne santé, ce qui tient du miracle, mais il y a toujours les petits bobos, les maladies vénériennes, la fièvre estivale… au point que le major Thacher (le médecin-chef) accepte de fermer l’œil quand je bande discrètement une plaie à condition qu’il ne me voie pas approcher d’un instrument tranchant. Heureusement, j’ai un petit couteau sur moi pour percer les abcès.
Depuis le départ de Ian, je commence également à manquer de simples. Il me rapportait toujours des herbes de ses expéditions. Il est devenu trop dangereux de s’aventurer hors du fort à moins d’être en grand nombre. Deux hommes partis chasser il y a quelques jours ont été retrouvés assassinés et scalpés.
A défaut de produits médicinaux, j’ai acquis ma propre déterreuse de cadavres en la personne de Mme Raven, originaire du New Hampshire et épouse d’un officier de milice. Elle est
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