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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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messire Bertrand, lui dit le roi à voix basse en l’abordant. Il est temps de partir. »
    « Personne ne lui répondit. Ce silence et la contenance embarrassée des Français semblèrent de mauvais augure à don Pèdre. Il fit un mouvement pour sauter en selle mais un homme d’armes tenait déjà la bride de son cheval. Il était entouré. On lui dit d’attendre et d’entrer dans une tente voisine  », celle d’Yvon de Lakonnet, un Breton – évidemment.
    La résistance était impossible. Pèdre resta surveillé pendant une heure, puis un homme apparut. Il avait eu le temps de s’armer de toutes pièces. C’était Henri… que Guesclin avait fait (ou était allé) prévenir.
    Il y avait 15 ans (depuis la captivité de Pèdre à Toro -1354) que les deux frères ne s’étaient pas vus. Henri dévisagea les compagnons de Pèdre et demanda :
    –  Où donc est ce bâtard, ce fils de pute, ce Juif qui se prétend roi de Castille ?
    Un écuyer français 435 désigna Pèdre :
    – Voilà votre ennemi !
    – Oui, c’est moi, s’écria Pèdre. Moi, le roi de Castille. Tout le monde sait que je suis le fils légitime du bon roi Alfonso. Le bâtard, c’est toi !
    Satisfait de l’insulte qu’il avait provoquée, Henri tira sa dague et frappa Pèdre au visage. Les deux frères étaient trop proches l’un de l’autre pour se battre à l’épée. S’empoignant à bras-le-corps, ils luttèrent avec fureur sans qu’aucun des hommes présents ne tentât de les séparer : ils se régalaient sans doute.
    Ils tombèrent sur un lit de camp et Pèdre, plus habile, plus grand et vigoureux, tint son frère sous lui. Il cherchait une arme pour le frapper quand un Aragonais, le vicomte En Gherau de Rocaberti, saisissant Pèdre par un pied, le renversa de côté, de sorte que le bâtard se trouva bientôt en dessous. Il ramassa son poignard (version Froissart), souleva la cotte de mailles du roi et lui plongea la lame sur le côté en remontant. Les bras de Pèdre ne cessaient d’étreindre son ennemi. Ce furent les gens de Henri qui secoururent celui-ci et achevèrent le blessé. Parmi les chevaliers qui accompagnaient Pèdre, deux seulement, un Castillan et un Anglais (Jacques Rollans et Raoul Elme, autrefois surnommé le Vert écuyer ) essayèrent de le défendre. Ils furent taillés en pièces et Guesclin dut participer à la curée.
    Ici, quelques remarques s’imposent :
    Il est impossible de retrousser une cotte de mailles dans une scène telle que celle-ci. Une cotte de mailles colle au corps et sa pesanteur rend tout retroussis impossible 436 . Il est donc probable que Pèdre n’en portait pas. D’ailleurs, pour fuir, il n’eût pas surchargé son cheval d’une quinzaine de kilos d’anneaux de fer.
    Selon certains témoignages qui ne furent point démentis, en particulier celui d’Ayala présent à Montiel, c’est Guesclin qui aurait renversé Pèdre en s’écriant :
    –  Je ne fais ni défais des rois, mais je sers mon seigneur 437 .
    Molina dans Descripcion del regno de Galicia, cité par Argote de Molina, attribue le même acte à un écuyer de dont Henri : Fernando Perez de Andrada.
    Mérimée, lui, vote résolument pour Guesclin et la relation » de Pedro Lopez de Ayala qui accuse formellement le Breton. Il écrit : les faveurs extraordinaires prodiguées par don Henri à du Guesclin ne confirment que trop la version d’Ayala.
    Don Henri trancha lui-même la tête à son frère et l’envoya à Séville. Le corps, cloué entre deux planches, fut exposé aux créneaux du château de Montiel. Plus tard, il fut transporté à Puebla de Alcocer et enfin à Santo Domingo et Real de Madrid (1446).
    *
    Tant par curiosité que pour se divertir, il faut lire ce qu’Alexandre Dumas père écrivit à propos de cette scène dans son Bâtard de Mauléon. Cependant, on doit à ce romancier qui viola l’Histoire sans cesse et sans scrupules un grain de vérité dans ce roman grotesque de bout en bout : c’est Guesclin qui «  saisit de son poignet nerveux le pied de don Pedro, et lui fit perdre l’équilibre ». C’est tout, car selon Dumas. Henri frappa son frère à la gorge. «  Un flot de sang jaillit aux yeux du vainqueur, étouffant le cri terrible qui s’échappait des lèvres de don Pedro  », voilà qui n’est pas mal tire-bouchonné, mais il y a mieux : «  le cadavre nagea dans le sang » (donc il brassait et vivait encore) et l’on «  vit alors un ruisseau de sang

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