Les fontaines de sang

 
    Auxerre, samedi 18 décembre 1361.
    Alors qu’il vient de prendre énergiquement possession du duché de Bourgogne, Jean II le Bon charge Tristan de Castelreng d’une mission difficile : cheminer jusqu’en Lyonnais et recueillir des informations sur les routiers qui s’y sont réunis. En effet, il est possible qu’au seuil d’une nouvelle année, ces malandrins, les Tard-Venus, attendent la visite de Charles II de Navarre. Frustré de la succession de Bourgogne à laquelle il prétendait – sans illusion – le grand fauteur de troubles pourrait assumer le commandement de ces milliers d’aventuriers et ruiner cette province comme il ruine, en Normandie, tout ce qui lui est hostile. La royauté des Valois, qu’il conteste à bon droit, serait alors mise en péril par ce boutefeu auquel, sans l’instauration de la loi salique et la concurrence d’Édouard III d’Angleterre, la couronne de France eût dû revenir (442) .
    Au cours d’une halte dans une auberge, en compagnie de Tiercelet, un manant brèche-dent auquel il doit la vie, le jeune chevalier de la Langue d’Oc sauve une servante, Oriabel, d’un viol. Son intervention lui vaut de tomber au pouvoir d’un routier, Naudon de Bagerant. Sous une escorte crapuleuse, il est conduit à Brignais ainsi que la jouvencelle et l’indispensable Tiercelet.
    Brignais est un enfer pour tous ceux – hommes, femmes, enfants – qui ont eu le malheur de tomber sous la coupe de quelque dix mille forcenés commandés par une vingtaine de chefs abominables. Afin de protéger Oriabel et pour complaire à Bagerant, Tristan l’épouse. Il ignore que cette cérémonie n’est qu’une parodie de mariage. En effet, le célébrant est un simulateur.
    Tristan, qui ne peut s’évader, voit enfin paraître dans la plaine gelée de Brignais les gens du roi menés par Jacques de Bourbon, comte de la Marche, et Jean de Melun, comte de Tancarville. La présomption de ces deux seigneurs et leur impéritie préjudicient l’ost tout entier : dans la nuit du mardi 5 au mer credi des Rameaux, 6 avril 1362, une attaque « en tenaille » des Tard-Venus anéantit les guerriers aux Lis. Cependant, lors d’un ultime assaut sur les pentes du Mont-Rond, dernière convulsion d’une armée taillée en pièces, Tristan est appréhendé au corps alors qu’il défendait sa vie parmi quelques routiers. Considéré comme traître, il est conduit à Lyon ainsi qu’une poignée de captifs. Sans procès, tous sont condamnés au bûcher. Personne n’a voulu accepter les justifications de Tristan, surtout pas Guillonnet de Salbris, un chevalier de mœurs dissolues qui n’a cessé d’intriguer pour rendre la sentence inexorable et immédiate.
    Sur le chemin menant de la geôle au supplice, une femme apparaît, immobilisant le funeste cortège. Elle aussi fut prisonnière à Brignais. Tristan l’a défendue dans des conditions difficiles. Mathilde de Montaigny est baronne et deux fois veuve. Cette envoyée de la providence excipe d’une coutume irrécusable selon laquelle tout condamné à mort doit être gracié s’il consent à épouser la dame qui le demande en mariage.
    Sitôt hors de l’église, Mathilde claquemure son conjoint dans son château. Tristan ne quitte guère la chambre de son hystérique geôlière. Quand, repue de sa présence, la gentilfame décide de l’offrir à ses chiens de meute, Tristan, prévenu, prend le large. Cette fuite est possible grâce au concours de quelques hommes d’armes survivants de la déconfiture de Brignais, enrôlés sous la bannière de Guillonnet de Salbris dont Tristan s’est vengé, à Montaigny même, dans un affrontement mortel.
    Il devient le chef de cette flote (443) Robert Paindorge en fait partie. Au moment opportun, cet ancien garçon (444) devenu écuyer révèle au jeune chevalier que Mathilde est morte, victime des violences de Panazol, son sénéchal, un ancien lieutenant d’Arnaud de Cervole, surnommé l’Archiprêtre.
    Tristan revient à Paris. Charles de Normandie, régent du royaume, manque à coup sûr de courage mais déborde d’imagination. Il charge l’homme lige de son père d’une mission aussi folle que périlleuse : traverser la Manche et se saisir du prince de Galles qui séjourne sans protection particulière au manoir de Cobham en compagnie de son épouse, la bellissime Jeanne de Kent.
    Après une traversée sans incident sur la Goberde battant pavillon anglais, Tristan et ses hommes parviennent à