Les joyaux de la sorcière
yeux gris se plantaient droit dans les siens. Cependant il resta évasif :
— Régler une affaire.
— Quel genre d’affaire ?
Il eut un haut-le-corps et fronça les sourcils. La baronne Pauline allait tout de même un peu loin mais déjà elle reprenait :
— Pardonnez-moi si je vous parais indiscrète et ne voyez dans cette question directe qu’un désir de nouer avec vous une véritable amitié. Or, vous n’êtes pas venu aux U. S. A. depuis des années et les « affaires » revêtent souvent chez nous un caractère brutal, ou alors sournois en particulier lorsqu’il s’agit de celles dont vous vous occupez : les bijoux historiques, célèbres ou non, toujours magnifiques sinon vous ne vous y mêleriez pas et donc obligatoirement dangereux.
— J’espère qu’il n’en sera rien, sourit Aldo. Je souhaite seulement vérifier une hypothèse.
Au contraire de ce qu’il attendait, elle ne lui demanda pas de préciser l’hypothèse en question, se contentant de le dévisager en silence avec une extrême attention dans laquelle il devinait une forme d’inquiétude qui le toucha parce que cette femme n’essayait pas de le séduire : elle venait de parler d’amitié et Aldo la sentait sincère. Peut-être aussi avait-il envie de la croire ?… Finalement, elle questionna :
— Vous avez des amis à New York ?
— Quelques clients… dont je n’ai pas coutume de faire des amis. Pourquoi me le demandez-vous ?
— Pour savoir si vous allez descendre dans une maison particulière.
— Mon Dieu non ! Je n’ai pas d’à priori contre la vie d’hôtel et je l’aime quand elle est de qualité. J’ai retenu au Waldorf Astoria…
— Comme tout le monde ! Je l’aurais juré ! C’est ridicule.
— Comment ridicule ?
— Pas parce que je déteste ce qui de près ou de loin touche aux Astor et parce qu’il va être bientôt démoli… Oh ! Par exemple !
Cette dernière exclamation venait de lui être arrachée par l’apparition sur le pont de la princesse Obolensky qu’Aldo n’eût peut-être pas reconnue sous son étroite toque de velours grenat assortie au manteau ourlé de renard noir sans la présence d’Adalbert Vidal-Pellicorne – symphonie en tweed et casquette moutarde ! – qui marchait à ses côtés en lui parlant avec volubilité.
— Vous connaissez cette dame ?
— Elle est célèbre… ou presque ! Alice Astor, la fille d’Ava qui est encore plus cinglée qu’elle. Je ne peux pas la souffrir. Offrez-moi votre bras et allons chez le radio !
— Vous voulez lancer un S. O. S. ? plaisanta Morosini.
— Il ne faudrait pas me pousser beaucoup ! Non, nous allons faire changer votre réservation : vous ne pouvez descendre qu’au « Plaza » ! Le seul convenable pour un homme de votre qualité. D’ailleurs notre ami Vauxbrun a déjà retenu…
C’était incontestablement une raison plus valable que les antipathies de la baronne et Aldo se laissa emmener assez content au fond de voir la tête que ferait Adalbert quand leurs couples se croiseraient…
Le fait dépassa largement ses espérances. Quand il passa auprès de lui en bavardant à bâtons rompus avec sa compagne, Adalbert ouvrit des yeux comme des soucoupes, s’arrêta pile et même se retourna tandis que les deux femmes échangeaient un regard glacial, l’une avec une moue dédaigneuse – Pauline ! – l’autre avec un haussement d’épaules qui l’était tout autant. Aldo lui se contenta d’un sourire narquois que la baronne était trop fine pour ne pas remarquer :
— Vous connaissez cet homme ?
— C’est même d’habitude mon meilleur ami.
— Pourquoi d’habitude ? Il ne l’est plus ?
— C’est la question que je me pose. Depuis qu’il connaît la princesse Obolensky j’ai l’impression qu’il n’a plus envie de me voir.
— Parce qu’il est amoureux de cette dinde et qu’il est beaucoup moins séduisant que vous ? Que fait-il dans la vie ?
— C’est un très brillant égyptologue…
La main sur la poignée de la porte de la radio, la baronne Pauline éclata de rire :
— Eh bien vous pouvez faire une croix sur votre belle amitié ! Alice se prend pour la réincarnation de Cléopâtre ou quelque chose d’approchant. Elle n’en fera qu’une bouchée…
Elle riait encore en pénétrant dans l’habitacle mais Morosini n’en avait plus envie. Cette curieuse femme possédait l’art de décortiquer l’âme humaine et même
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