Les joyaux de la sorcière
déjeuner. Il était occupé à nouer sa cravate quand on frappa à sa porte mais il n’eut pas le temps de crier « Entrez ! ». Vidal-Pellicorne était là. L’œil sombre et la mèche en bataille il lançait sans préambule :
— Il faut qu’on parle !
Son reflet s’inscrivit aussitôt dans le miroir devant lequel Aldo continua d’opérer comme si de rien n’était :
— C’est aussi mon avis mais tu pourrais commencer par dire bonjour !
— Eh bien, bonjour si tu y tiens !
— Cela me paraît la moindre des choses et je te fais grâce des politesses dans le genre : « Comment vas-tu ? »
— C’est l’évidence même : tu as une mine magnifique !
— Et de deux ! C’est la seconde fois qu’on me la reproche depuis ce matin et comme chaque fois cela vient d’un ami – ou supposé tel ! – cela devient obsédant.
— Qui est l’autre « supposé tel » ?
— Gilles Vauxbrun.
— Il est là lui aussi ?
— Et pourquoi pas ? Tu y es bien ? Maintenant qu’est-ce que tu veux ?
Le nœud de cravate étant parfait, Aldo s’éloigna du miroir pour aller chercher son étui à cigarettes laissé sur la table de chevet cependant qu’Adalbert opérait le mouvement contraire en allant s’adosser à la commode que dominait la glace :
— C’est plutôt à moi de te le demander ? Pourquoi me suis-tu ?
— Où as-tu pris que je te suivais ?
— À Londres d’abord où tu es tombé chez moi comme la foudre…
— Je préférerais comme un pavé dans la mare obscure où vous barbotiez joyeusement Warren, une belle dame et toi.
— … et maintenant sur ce bateau !
— Où j’ai embarqué avant toi au Havre sans me douter un instant que l’escale de Plymouth me vaudrait le plaisir de ta compagnie ! mentit Aldo avec un aplomb convaincant. Cela dit, continua-t-il en durcissant le ton, j’aimerais savoir, moi, ce que je t’ai fait à part débarquer sans prévenir ?
— Rien, mais…
— Aurais-je déplu sans le savoir à la fille de lady Ribblesdale ?… Ça n’aurait rien d’étonnant, sa mère me déteste.
— J’avais raison de me méfier : tu t’es arrangé pour savoir qui elle est ?
— Tu me prends pour un enfant de chœur ? Certainement je me suis « arrangé ». Tu penses bien que j’ai passé Warren à la question ? Pour une fois que la curiosité était de mon côté !
Sous le hâle qui ne quittait jamais son visage – pas plus que celui de Morosini ! – Adalbert avait pâli.
— Qu’est-ce qu’il t’a raconté ?
— À l’exception du nom de la future ex-princesse Obolensky absolument rien sinon que vous auriez ensemble une affaire délicate…
Un soupir de soulagement s’échappa de la poitrine de l’archéologue :
— J’aime mieux ! Écoute je peux simplement te dire ceci : elle possède un joyau inestimable donc convoité par des gens prêts à tout pour se l’approprier. Warren a fait en sorte de la protéger à Londres mais le danger se rapproche au point qu’elle a préféré partir discrètement pour les États-Unis. C’est la raison de notre embarquement nocturne sur un bateau français. Or, la présence auprès de nous de l’expert le plus célèbre en pierres historiques ne peut nous être que néfaste alors qu’Alice se donne un mal fou pour faire croire qu’elle s’est défaite du bijou…
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un collier trouvé dans la tombe de Tout-Ank-Amon et que lui a donné lord Carnavon…
— Jamais entendu parler ? re-mentit Aldo. D’ailleurs les joyaux égyptiens ne m’intéressent pas ! Ils sont trop mats ! Je n’aime que les étoiles étincelantes que sont les diamants et leurs sœurs de couleur. Tu devrais le savoir !
— De l’or et du lapis-lazuli sortant d’un tombeau qui fait rêver la terre entière, tu es difficile ! Tu pourrais faire une exception !
— Eh non ! Les perles de Cléopâtre je ne dirais pas parce qu’elles sont vivantes et ont de tous temps composé à la femme une belle parure mais les placards d’or cloisonné que les pharaons s’appliquaient sur l’estomac ne m’ont jamais attiré. C’est ta partie à toi !
— Soit, je te l’accorde. Alors qu’est-ce que tu fabriques ici ?
— …et sans toi… alors que jusqu’à présent nous avons parcouru ensemble pas mal de kilomètres ? Que veux-tu, moi je suis comme Vauxbrun : un commerçant dont les affaires ne sont pas toujours
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