Les "Larmes" De Marie-Antoinette
cartons…
— Avec le monogramme de Marie-Antoinette gravé en bleu et les lys de France en or ? se récria M me de La Begassière. Ils ont dû lui coûter cher…
— Soyez certaine qu’il les a vendus plus cher encore ! On devait se les arracher. Songez que c’est la première fois que l’on ramène les souvenirs de la Reine dans son Trianon depuis qu’en 1867 l’impératrice Eugénie avait ordonné une manifestation semblable à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris. Et c’était loin d’être aussi important !
Sans aucun doute ! L’impératrice avait en effet réussi à remettre en place quelques meubles dont un merveilleux petit bureau signé Riesener et rassemblé autour d’eux des souvenirs de la Reine. Cette fois, le prestigieux comité versaillais et international patronnait « Magie d’une reine » sous la présidence d’honneur de John D. Rockefeller – il avait, sept ans plus tôt sauvé les toits et diverses parties de Versailles – et une princesse de Bourbon-Parme avait réussi l’exploit de convaincre plusieurs collectionneurs de sortir de leurs coffres certaines parures personnelles de Marie-Antoinette. Aldo Morosini était de ceux-là et aussi son beau-père, le richissime banquier zurichois Moritz Kledermann. L’un comme l’autre avaient souhaité faire plaisir à la comtesse von Adlerstein, grand-mère de Lisa, qui appartenait au comité d’honneur et aussi, pour Morosini, à son ami Gilles Vauxbrun, l’antiquaire de la place Vendôme spécialiste du XVIII e siècle et discret collectionneur de tout ce qui touchait au château de Versailles.
Vauxbrun s’était autant dire arraché le cœur en prêtant une table de trictrac à marqueterie précieuse, l’une des gloires de son hôtel particulier, mais il s’était révélé incapable de résister au sourire charmeur de la très belle Léonora, une pulpeuse Italienne mariée à lord Crawford, un Écossais déjà âgé, riche comme un puits et tout aussi secret, dont on savait seulement qu’il vouait au souvenir de la reine martyre un culte ancestral et qu’il possédait de nombreux objets lui ayant appartenu. Habitant Versailles une partie de l’année il était l’instigateur de « Magie d’une reine », et un membre des plus actifs du Comité où sa femme avait entraîné l’antiquaire.
Cette nouvelle passion de son ami amusait Aldo : chez Gilles, célibataire endurci au demeurant, les coups de foudre étaient toujours intenses, flambaient haut mais ne duraient guère : Léonora était la troisième en à peine deux ans, succédant à une merveilleuse Américaine, Pauline Belmont pour laquelle Aldo lui-même s’était senti un « faible », et à une danseuse tzigane du Schéhérazade. Ces toquades rapides s’expliquant peut-être par le fait qu’aucune de ces deux premières passions ne lui avait cédé bien qu’il fût entièrement disposé à les épouser alors que la belle Léonora s’était montrée beaucoup plus accessible. À certaines mines « confites » de son ami, à ses demi-confidences, Aldo était même persuadé qu’elle avait sauté le pas.
Toujours est-il que pour plaire à sa belle, Vauxbrun avait « tanné » son ami jusqu’à ce qu’il accepte de laisser exposer la paire de girandoles en diamants à peine rosés, l’une des pièces les plus émouvantes de sa collection, mais comme cela coïncidait avec la demande de la vieille comtesse relayée par Lisa, Aldo ne résista que pour juger de l’intensité des sentiments de Vauxbrun. À présent, les ravissants joyaux trônaient dans l’une des vitrines en compagnie de la paire de bracelets prêtés par Moritz Kledermann, d’un collier de perles et d’une seule boucle d’oreille : une sublime « larme » soutenue par un brillant d’un blanc bleu exceptionnel. Les trésors portaient comme les autres bijoux un simple numéro renvoyant au luxueux catalogue. Encore que sur celui-ci les propriétaires ne fussent-ils désignés que par leurs initiales : lady H.H. pour les perles, le prince A.M. pour lui-même, M.M.K. pour les bracelets, M lle C.A. pour la « larme »… Et ainsi de suite… D’autres objets moins importants, comme des bagues, des agrafes, des ornements de cheveux étaient exposés autour des pièces maîtresses. Deux autres armoires vitrées complétaient l’ensemble. L’une pour les petits objets précieux : drageoirs, tabatières, peignes, flacons, éventails, presque tous
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