Les Médecins Maudits
régression et d’un retour à la mentalité des sacrifices humains de l’ancien paganisme, de ces sacrifices humains faits pour une nouvelle idole qui, dans cette optique, deviendrait la Médecine.
Malheureusement chaque société a besoin de martyrs !
Cette même année 1952, les médecins juifs se réunissaient à Jérusalem et concluaient :
— Aucun être humain n’a le droit de sacrifier son semblable pour des buts d’utilité scientifique.
L’expérimentation humaine ne sera, sans doute, jamais totalement codifiée. Le cas de conscience reste posé pour chaque praticien. Tout au long des discussions sur ce problème délicat avec des médecins, j’ai lancé la même question :
— Si pour sauver cent personnes il vous fallait tuer un seul cobaye humain ?
La plupart des médecins ont répondu :
— Je pense que ma conscience me forcerait d’accepter ce chantage ignoble.
Le professeur Baruk lui aussi avait sans doute posé cette question, puisqu’il écrit :
« On s’étonne que des professeurs de Faculté et des savants nazis aient commis des crimes effroyables. Mais à partir du moment où on pense que le but unique est d’augmenter la science sans tenir compte des êtres humains et sans être soumis à un facteur éthique supérieur, et sans écouter les sentiments humains et en faisant taire son cœur, dans une telle optique, toutes les voies sont ouvertes pour toutes les déformations, les régressions, les perversions et les dégradations de la déshumanisation. »
Si, de plus, les médecins sont sûrs de l’impunité… Ce climat favorable à tous les excès, Hitler et Himmler l’avaient imposé : ce livre présente les expériences médicales qu’ils avaient réclamées ou tolérées. Je ne suis pas médecin. J’ai travaillé en journaliste. J’ai recherché et retrouvé d’anciens déportés sur qui les médecins allemands avaient expérimenté ; des médecins détenus qui, sous peine de mort, devaient servir d’assistants ou de « spécialistes » aux « chercheurs » nazis. J’ai compulsé des milliers de témoignages, les notes sténographiques des principaux procès. Pour les déclarations à la barre de Nuremberg j’ai utilisé la traduction de François Bayle, médecin général français, expert près du tribunal, qui a pu rencontrer avant leur procès les « savants criminels ». François Bayle a publié sur ce sujet un ouvrage essentiel « Croix gammée contre caducée » qui malheureusement est épuisé et que l’on trouve difficilement dans les bibliothèques.
La conclusion de cet ouvrage n’est guère optimiste :
— Qu’il se trouve, de par le monde, un tyran comparable, petit ou grand, et qu’il réussisse à fanatiser la jeunesse par une idéologie aussi « idéaliste », fausse et inhumaine, que cette idéologie extirpe de la pensée de ses tenants toute notion religieuse (et morale), alors le pire renaîtra. Des médecins violeront encore la conscience humaine sous des prétextes scientifiques et utilitaires. De monstrueuses recherches s’édifieront, qui n’ont pu aboutir en Allemagne, mais qui seront tentées ailleurs ; l’État tout-puissant prendra sur lui la responsabilité, et tout recommencera.
J’ai traité volontairement de « la morale expérimentale » dans cette préface pour conserver dans l’ouvrage les seuls faits bruts, sans « amélioration dite littéraire », sans « exclamations indignées ». L’horreur ne se souligne pas.
C. B.
On n’a jamais le droit de tuer un homme parce qu’on ne sait pas les images qui sont au fond de ses yeux.
Saint-Exupéry.
Cette honte, personne ne nous en absoudra.
Professeur Théodore Heuss
Ancien Président de la République Fédérale Allemande
1
une grande première
Ce spectacle-là, il le savait, lui donnerait des cauchemars. Ce soir, chaque soir, soir après soir. Une bien étrange manière de fêter son trente-troisième anniversaire ! Il sourit.
— Eh bien oui, Walter Neff, tu viens d’avoir trente-trois ans. Peut-être… sans doute, la dernière année de ta vie. En effet, comment toi, le prisonnier privilégié, l’infirmier indispensable du bloc des tuberculeux de Dachau, pourrais-tu te tirer de cette nouvelle aventure ?
Sigmund Rascher inscrivit sur son carnet, à couverture noire, « 22 février 1942 ». Une rafale de vent s’engouffra dans l’étroit couloir de terre battue qui séparait les deux baraquements et se brisa
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