Les Médecins Maudits
Un jeu de coussins de différentes épaisseurs transformait à souhait la silhouette de cette déjà vieille dame, si jeune encore.
Rascher fréquentait les cercles médicaux aéronautiques. Les pilotes, le docteur Siegfried Ruff, directeur du Centre Expérimental de l’Armée de l’Air l’a affirmé à Nuremberg, ne savaient que faire lorsqu’ils abandonnaient leurs appareils à de hautes altitudes. Ils ne disposaient même pas d’appareil à oxygène pour sauter.
— Les équipages redoutaient après l’ouverture du parachute, la descente et l’atterrissage sur terre ou sur mer, le mal de l’altitude ou la noyade. Nous ne pouvions les aider car nous n’avions pas de bases expérimentales. Or, les avions de combat volaient jusqu’à dix et onze mille mètres. Les avions ennemis volaient même plus haut. Nous avions un chasseur, le Messerschmitt 163 qui était à la période des essais et qui pouvait atteindre dix à douze mille mètres en deux minutes. De plus gros moteurs et de plus grands avions étaient en construction. Ils pourraient atteindre seize mille mètres. Les développements mécaniques avaient dépassé les résultats obtenus en médecine aéronautique. J’avais déjà résolu la question du sauvetage à douze mille mètres ; restait le sauvetage à vingt mille mètres.
Rascher savait que Ruff et ses collaborateurs avaient effectué sur eux-mêmes plus de dix mille expériences :
— Il est juste de dire que nous avons reproduit les conditions, jusqu’au point où nous ne pouvions plus les supporter, jusqu’au point dangereux… Nous devions payer notre propre assurance sur la vie… Nous eûmes seulement deux morts.
Ruff était bloqué dans ses recherches lorsqu’il reçut la visite de Rascher.
— J’ai l’autorisation, lui dit-il, d’expérimenter sur des prisonniers de Dachau, des « criminels professionnels ». Cette permission est signée Himmler.
C’était vrai. Rascher avait discuté longuement de ces problèmes avec le Reichsführer SS. Une lettre du 15 mai 1941 officialisait sa demande :
« L’étude des vols à haute altitude nécessitée par le plafond plus élevé avions de combat britanniques, a pris une place importante. On a jugé regrettable de ne pouvoir faire des expériences sur du « matériel humain » car ces expériences étaient très dangereuses, personne n’était volontaire. C’est pourquoi je pose la question capitale : pouvez-vous mettre à notre disposition deux ou trois criminels professionnels, à des fins expérimentales ? »
Par la plume de son secrétaire, Himmler répondit :
« Bien entendu, des prisonniers seront mis avec plaisir à votre disposition…»
Les instituts officiels de recherches ne faisaient pas confiance à Rascher, mais n’osaient pas l’avouer. Il faudrait trouver d’autres médecins capitaines plus sérieux… Rascher serait leur adjoint. Les docteurs Lutz et Wendt refusent. Le fait est assez rare pour être signalé. Le docteur Lutz témoigna à Nuremberg.
— Je ne me considérais pas assez dur pour ce genre d’expériences… C’est déjà bien assez difficile d’expérimenter sur un chien qui vous regarde et qui semble avoir une sorte d’âme.
Le docteur Romberg avait certainement plus de scrupules que Rascher mais pas assez pour refuser. Lorsqu’il voudra se retirer de l’expérience, il sera trop tard.
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* *
N’oublions pas que pour Rascher les expériences sont le moyen le plus rapide et le plus sûr d’obtenir une place dans une université. Mais ses travaux, pour avoir plus de poids que ceux d’autres chercheurs comme Romberg, doivent aboutir à des conclusions originales. Le petit médecin capitaine ambitieux dispose d’un dossier volumineux sur le sujet. Des milliers d’essais ont été tentés sur des animaux ; la simple arithmétique a fourni des résultats jusqu’à des altitudes de cent kilomètres. Alors ? Les expériences sur des êtres humains ne feront que confirmer les données du problème, les modifier dans le détail… une piètre étude ! Mais si l’on va plus loin, si on laisse mourir un homme à quinze kilomètres, si on pratique l’autopsie à cette hauteur, ou sous l’eau, pour prouver l’embolie gazeuse ; si minutieusement on décrit son agonie… Les directeurs des Instituts aéronautiques ne se manifesteront pas, ils tremblent devant les SS.
Ainsi vont naître à Dachau deux séries distinctes d’expériences. Une première
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