Les Médecins Maudits
gigantesque porcherie à moins de dix kilomètres des « chambres de torture » de Rascher.
— Je transportai mon Institut à Freysing, dans une propriété où l’on élevait des cochons ce qui nous permit d’expérimenter, dans des conditions beaucoup plus proches des conditions humaines. En effet, le porc a un métabolisme proche du métabolisme humain, ses dimensions sont en rapport et il n’a pas de fourrure.
De suite, Weltz obtient les mêmes résultats qu’avec les cobayes. L’Armée de l’Air envisage d’appliquer cette redécouverte xiii à l’homme. Des instructions vont être données aux marins chargés des repêchages en mer pour qu’ils baignent les aviateurs, dès leur sauvetage, dans de l’eau à 40°. Rascher intervient et déclare au médecin général Hippke :
— Himmler m’a donné l’ordre d’expérimenter dans ce domaine.
Ce qui peut paraître aujourd’hui invraisemblable se produisit : le général céda au capitaine… Comme le dira plus tard Gebhardt :
— L’ombre d’Himmler planait.
Cette « ombre » n’obscurcissait pas totalement l’intelligence des experts militaires. Ils décidèrent de faire couvrir l’opération par un spécialiste. Lui seul conduirait l’expérimentation… le pied sur la pédale de frein pour tempérer les ardeurs sanguinaires de Rascher.
L’homme choisi, le docteur Holzlöhner, était professeur de physiologie à la Faculté de Médecine de Kiel ; les aviateurs lui devaient déjà l’invention d’une combinaison de vol révolutionnaire pour l’époque. Le tissu, les bottes, les gants imprégnés de gaz, dégageaient de la chaleur au contact de l’eau. Le professeur Holzlöhner avait également, tout au long de la Bataille d’Angleterre, étudié et soigné les aviateurs repêchés.
— Il était d’un dévouement exemplaire. Nous n’avions jamais connu un médecin aussi humain. Une seule chose comptait pour lui : notre guérison.
C’est en ces termes que parle du professeur Holzlöhner le capitaine Schlutzer. Alors, comment imaginer qu’il ait accepté d’expérimenter sur des êtres humains ? « L’ombre » ne paraît pas une réponse suffisante. Peut-être faut-il se demander si la certitude de l’impunité ne modifie pas l’éthique, la déontologie professionnelle, toutes les valeurs morales de certains individus en libérant les forces malignes, latentes qu’ils portent en eux… Lorsqu’à la première heure de l’anéantissement du Régime le professeur se retrouvera seul, sans protection, il se suicidera.
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Walter Neff savait que le « petit capitaine » allait le convoquer. Tous ces préparatifs dans le block cinq ne pouvaient que cacher une nouvelle « folie ». Quelles images indélébiles remplaceraient celles qu’il portait gravées au fond des yeux.
— Voilà… C’est simple, avait expliqué Rascher, tu t'es bien comporté au cours des expériences à haute altitude…
De mécanicien-infirmier-croque-mort-électricien, Neff devenait assistant médical.
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Hendrik Bernard Knol, un jeune Néerlandais, sommeillait sur un châlit de l’infirmerie. Son phlegmon guérissait lentement.
— Debout charogne ! Suis-moi. Vite !
Knol reçut un coup de crosse alors qu’il enfilait ses galoches.
Devant l’infirmerie un camion vert stationnait.
— Tu vas décharger la glace.
Et « sans comprendre le but de cette opération », Knol transporta une vingtaine de pains de glace dans un curieux bassin de bois qui occupait le centre d’une pièce fraîchement repeinte et que son gardien SS appelait : la salle d’aviation.
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Une table basse, en bois blanc, deux pupitres, un petit bureau ; le long du mur un établi et une paillasse d’évier, des éprouvettes, des cornues, trois tabourets et une chaise ; sur le sol des fils électriques ; au plafond une grosse poutre d’acier… Nous sommes dans la « salle d’aviation » du block cinq. Tous ces objets entourent la « piscine ».
— Le bassin était en bois. Il avait deux mètres de long et deux mètres de profondeur.
Il dépassait le plancher d’environ cinquante centimètres. Il y avait dans la salle d’expérience et dans le bassin, un certain nombre d’appareils de mesure xiv .
Le père Michialowsky n’eut pas le temps de se poser de questions ; il aperçut les blocs de glace qui flottaient sur l’eau et Rascher lui cria :
— Déshabille-toi.
Le prêtre était polonais. Il
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