Les Piliers de la Terre
faire bénir ? Philip pénétrait dans un monde peu familier
porteur d’un lourd et dangereux secret. Je ne suis peut-être pas près de sortir
d’ici, songea-t-il avec crainte. Combien je regrette que Francis soit venu me
voir !
Il arriva
en haut du perron. Voilà bien des pensées indignes, se dit-il. Alors que j’ai
une chance de servir Dieu et l’Église, je réagis en me préoccupant de ma propre
sécurité. Il y a des hommes qui affrontent le danger chaque jour, au combat, en
mer, lors de pèlerinages hasardeux ou de croisades. Même un moine se doit de
supporter quelques peurs et quelques tremblements. Il prit une profonde
inspiration et entra.
La salle
était sombre et enfumée. Philip referma prestement la porte pour empêcher l’air
froid d’entrer, puis scruta la pénombre. Un grand feu flamboyait au fond de la
pièce, seule source de lumière avec les petites ouvertures des fenêtres. Autour
de l’âtre, un groupe d’hommes, les uns en tenue ecclésiastique, les autres
portant des costumes de petite noblesse, plongés dans une grave discussion,
parlaient à voix basse et calme. Les regards et les propos s’adressaient à un
prêtre assis au milieu du groupe comme une araignée au centre de sa toile.
C’était un homme maigre ; ses longues jambes qui se déployaient et ses
longs bras qui glissaient sur les appuis de son fauteuil faisaient penser qu’il
s’apprêtait à bondir. Il avait des cheveux d’un noir de jais, un visage pâle au
nez acéré, et ses vêtements noirs lui donnaient une allure à la fois élégante
et menaçante.
Ce n’était
pas l’évêque.
Un
intendant se leva d’une chaise placée auprès de la porte et s’adressa à
Philip : « Bonjour à vous, mon père. Qui voulez-vous
voir ? » A cet instant, un chien de chasse allongé devant le feu leva
la tête en grognant. Alerté, l’homme en noir se retourna, aperçut Philip et
interrompit sur-le-champ la conversation d’un geste de la main. « Qu’y
a-t-il ? dit-il avec brusquerie.
— Je
vous souhaite le bonjour, répondit poliment Philip. Je suis venu voir l’évêque.
— Il
n’est pas ici », déclara le prêtre d’un ton qui ne souffrait pas de
réplique.
Philip
sentit son cœur se serrer. Lui qui avait tant redouté cette entrevue et les
dangers qu’elle comportait, maintenant il se sentait déçu. Qu’allait-il faire
de son terrible secret ? Il revint au prêtre : « Quand
attendez-vous son retour ?
— Nous
n’en savons rien. Quelles affaires voulez-vous traiter avec lui ? »
La brusquerie de cet homme agaçait quelque peu Philip. « Les affaires de
Dieu, répliqua-t-il sèchement. Qui êtes-vous ? » Le prêtre haussa les
sourcils, comme surpris d’être interpellé, et tout le monde observa un silence
gêné, annonciateur d’explosion ; mais le prêtre en noir répondit calmement :
« Je suis son archidiacre. Mon nom est Waleran Bigod.
— Le
mien est Philip. Je suis le prieur du monastère de Saint-John-de-la-Forêt.
C’est une annexe du prieuré de Kings-bridge.
— J’ai
entendu parler de vous, dit Waleran. Vous êtes Philip de Gwynedd. »
Philip,
fort étonné, ne comprenait pas comment un archidiacre connaissait le nom d’un
personnage aussi peu important que lui. Mais ce nom, si modeste qu’il fût,
suffit à adoucir Waleran, dont l’expression irritée disparut.
« Approchez-vous du feu, dit-il. Vous prendrez bien une tirée de vin chaud
pour vous ranimer le sang ? » Il fit signe à quelqu’un, assis sur un
banc contre le mur, et une silhouette dépenaillée surgit aussitôt.
Philip
s’approcha du feu. Waleran prononça quelques mots à voix basse après lesquels
les autres membres de l’assistance commencèrent à sortir, raccompagnés par
Waleran jusqu’à la porte ; pendant ce temps, Philip s’assit et se chauffa
les mains en se demandant de quoi ces gens discutaient et pourquoi
l’archidiacre n’avait pas conclu la réunion sur une prière.
Le
serviteur en haillons lui tendit une écuelle. Philip but une gorgée du vin
brûlant et épicé. Que devait-il faire maintenant ? En l’absence de
l’évêque, à qui pouvait-il s’adresser ? Il songea à aller trouver le comte
Bartholomew pour lui demander simplement de renoncer à sa rébellion. Aussitôt
l’idée lui parut ridicule : le comte le précipiterait dans un cachot pour
le restant de ses jours. Il restait le prévôt, qui en théorie représentait le
roi dans le comté.
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