Les Poisons de la couronne
vôtre en mon cœur,
n’en aurai jamais d’autre, et si elle me venait à faillir, ma vie s’en irait
avec. »
Car ce présomptueux, maintenant que
l’adversité le clouait sur un lit d’hôtel-Dieu, se prenait à douter de tout et à
craindre que celle qu’il aimait ne l’attendît pas. Marie allait se lasser d’un
amoureux toujours absent, et lui préférer quelque gentilhomme de sa province.
« Ma chance, se disait-il, est
d’avoir été le premier à l’aimer. Mais voilà un an et bientôt six mois que nous
nous sommes donné notre premier baiser. »
Alors que contemplant ses jambes
amaigries, il se demandait s’il pourrait jamais tenir debout, il cherchait,
dans ses lettres, à se montrer admirable. Il se donnait pour l’intime et le
protégé de la nouvelle reine de France. À le lire, on eût cru qu’il avait
lui-même négocié le mariage royal. Il racontait son ambassade à Naples, la
tempête, et comment il s’y était conduit, affermissant le courage de
l’équipage. Son accident, il l’attribuait à un mouvement chevaleresque ;
il s’était précipité afin de soutenir la princesse Clémence et la sauver de
tomber à l’eau, alors qu’elle descendait du navire que secouaient, jusque dans
le port, les remous de la mer…
Guccio avait écrit également à son
oncle Spinello Tolomei pour lui conter, mais avec moins d’emphase, son
accident, et lui demander du crédit à Marseille.
Des visites assez nombreuses le
distrayaient un peu. Le consul des marchands siennois était venu le saluer et
se mettre à sa disposition ; le correspondant des Tolomei le comblait
d’attentions et lui faisait parvenir une nourriture meilleure que celle servie
par les frères hospitaliers.
Un après-midi, Guccio eut la joie de
voir apparaître son ami Boccace de Cellino, voyageur des Bardi, qui se trouvait
justement de passage à Marseille. Auprès de lui, Guccio put se lamenter à
loisir.
— Pense à tout ce que je vais
manquer, disait-il. Je ne pourrai point assister aux noces de Donna Clemenza,
où j’aurais eu ma place parmi les grands seigneurs. Avoir tant fait pour ce
mariage, et ne pas m’y trouver ! Et je vais manquer aussi le sacre de
Reims. Ah ! Que cela me fait deuil… et je n’ai aucune réponse de ma belle
Marie.
Boccace s’efforça de l’apaiser.
Neauphle n’était pas un faubourg de Marseille, et les lettres de Guccio ne
voyageaient pas par chevaucheurs royaux. Elles devaient transiter par les
relais lombards d’Avignon, de Lyon, de Troyes et de Paris ; les courriers
ne se mettaient pas en route chaque jour.
— Boccacio, mon ami, s’écria
Guccio, si tu te rends à Paris, fais-moi la grâce d’aller à Neauphle et de voir
Marie. Dis-lui tout ce que je t’ai confié ! Sache si mes missives lui ont
bien été remises ; vois si elle est toujours en même humeur d’amour à mon
endroit. Et ne me cache aucune vérité, même la plus dure… Ne crois-tu pas,
Boccaccino, que je devrais me faire transporter en litière ?
— Pour que ta blessure se
rouvre, que les vers s’y mettent, et pour périr de la fièvre dans quelque
mauvaise auberge de la route ? La belle idée ! Es-tu devenu
fou ? Tu as vingt ans, Guccio…
— Pas encore !
— Raison de plus ; à ton
âge, qu’est-ce qu’un mois de perdu ?
— Si c’était le bon mois, c’est
toute la vie qui peut être perdue.
Chaque jour, la princesse Clémence
envoyait un de ses gentilshommes prendre des nouvelles du blessé. Par trois
fois, le comte de Bouville vint lui-même s’asseoir au chevet du jeune Italien.
Bouville était accablé de travail et de soucis. Il s’efforçait de rendre une
apparence convenable à l’escorte de la future reine avant de poursuivre le
voyage. Personne n’avait plus de vêtements hormis ceux, détrempés et gâchés,
que chacun portait en débarquant. Les gentilshommes et les dames de parage
commandaient chez les tailleurs et les lingères, sans se soucier de payer. Tout
le trousseau de la princesse, perdu en mer, était à refaire ; il fallait
racheter l’argenterie, la vaisselle, les coffres, les meubles de route.
Bouville avait demandé des fonds à Paris ; Paris avait répondu qu’on
s’adressât à Naples, puisque toutes ces pertes étaient survenues dans la partie
du voyage qui incombait à la couronne de Sicile et que l’escorte se trouvait
encore en terre angevine. Les Napolitains avaient renvoyé Bouville aux Bardi,
leurs prêteurs habituels, ce qui
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