Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les rêveries du promeneur solitaire

Les rêveries du promeneur solitaire

Titel: Les rêveries du promeneur solitaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
indignités sans mesure
dont je me sentais accablé de toutes parts, des intervalles
d'inquiétude et de doutes venaient de temps à autre ébranler mon
espérance et troubler ma tranquillité. Les puissantes objections
que je n'avais pu résoudre se présentaient alors à mon esprit avec
plus de force pour achever de m'abattre précisément dans les
moments où, surchargé du poids de ma destinée, j'étais prêt à
tomber dans le découragement. Souvent des arguments nouveaux que
j'entendais faire me revenaient dans l'esprit à l'appui de ceux qui
m'avaient déjà tourmenté. Ah ! me disais-je alors dans des
serrements de coeur prêts à m'étouffer, qui me garantira du
désespoir si dans l'horreur de mon sort je ne vois plus que des
chimères dans les consolations que me fournissait ma raison ?
si, détruisant ainsi son propre ouvrage, elle renverse tout l'appui
d'espérance et de confiance qu'elle m'avait ménagé dans
l'adversité ? Quel appui que des illusions qui ne bercent que
moi seul au monde ? Toute la génération présente ne voit
qu'erreurs et préjugés dans les sentiments dont je me nourris
seul ; elle trouve la vérité, l'évidence, dans le système
contraire au mien, elle semble même ne pouvoir croire que je
l'adopte de bonne foi, et moi-même en m'y livrant de toute ma
volonté j'y trouve des difficultés insurmontables qu'il m'est
impossible de résoudre et qui ne m'empêchent pas d'y persister.
Suis-je donc seul sage, seul éclairé parmi les mortels ? Pour
croire que les choses sont ainsi suffit-il qu'elles me
conviennent ? Puis-je prendre une confiance éclairée en des
apparences qui n'ont rien de solide aux yeux du reste des hommes et
qui me sembleraient même illusoires à moi- même si mon coeur ne
soutenait pas ma raison ? N'eût-il pas mieux valu combattre
mes persécuteurs à armes égales en adoptant leurs maximes que de
rester sur les chimères des miennes en proie à leurs atteintes sans
agir pour les repousser ? Je me crois sage et je ne suis que
dupe, victime et martyr d'une vaine erreur.
    Combien de fois dans ces moments de doute et d'incertitude je
fus prêt' à m'abandonner au désespoir! Si jamais j'avais passé dans
cet état un mois entier c'était fait de ma vie et de moi. Mais ces
crises quoique autrefois assez fréquentes, ont toujours été
courtes, et maintenant que je n'en suis pas délivré tout à fait
encore elles sont si rares et si rapides qu'elles n'ont pas même la
force de troubler mon repos. Ce sont de légères inquiétudes qui
n'affectent pas plus mon âme qu'une plume qui tombe dans la rivière
ne peut altérer le cours de l'eau. J'ai senti que remettre en
délibération les mêmes points sur lesquels je m'étais ci-devant
décidé était me supposer de nouvelles lumières ou le jugement plus
formé ou plus de zèle pour la vérité que je n'avais lors de mes
recherches, qu'aucun de ces cas n'étant ni ne pouvant être le mien,
je ne pouvais préférer par aucune raison solide des opinions qui
dans l'accablement du désespoir ne me tentaient que pour augmenter
ma misère, à des sentiments adoptés dans la vigueur de l'âge, dans
toute la maturité de l'esprit, après examen le plus réfléchi, et
dans des temps où le calme de ma vie ne me laissait d'autre intérêt
dominant que celui de connaître la vérité. Aujourd'hui que mon
coeur serré de détresse, mon âme affaissée par les ennuis mon
imagination effarouchée, ma tête troublée par tant d'affreux
mystères dont je suis environné aujourd'hui que toutes mes
facultés, affaiblies par la vieillesse et les angoisses, ont perdu
tout leur ressort, irai-je m'ôter à plaisir toutes les ressources
que je m'étais ménagées, et donner plus de confiance à ma raison
déclinante pour me rendre injustement malheureux qu'à ma raison
pleine et vigoureuse pour me dédommager des maux que je souffre
sans les avoir mérités ? Non, je ne suis ni plus sage, ni
mieux instruit, ni de meilleure foi que quand Je me décidai sur ces
grandes questions, je n'ignorais pas alors les difficultés dont je
me laisse troubler aujourd'hui, elles ne m'arrêtèrent pas, et s'il
s'en présente quelques nouvelles dont on ne s'était pas encore
avisé, ce sont les sophismes d'une subtile métaphysique qui ne
sauraient balancer les vérités éternelles admises de tous les
temps, par tous les sages reconnues par toutes les nations et
gravées dans le coeur humain en caractères ineffaçables. Je savais
en méditant sur

Weitere Kostenlose Bücher