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Les rêveries du promeneur solitaire

Les rêveries du promeneur solitaire

Titel: Les rêveries du promeneur solitaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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ces matières que l'entendement humain circonscrit
par les sens ne les pouvait embrasser dans toute leur étendue. Je
m'en tins donc à ce qui était à ma portée sans m'engager dans ce
qui la passait. Ce parti était raisonnable, Je l'embrassai Jadis,
et m'y tins avec l'assentiment de mon coeur et de ma raison Sur
quel fondement y renoncerais-je aujourd'hui que tant de puissants
motifs m'y doivent tenir attaché ? Quel danger vois-je à le
suivre ? Quel profit trouverais- je à abandonner ? En
prenant la doctrine de mes persécuteurs, prendrais-je aussi leur
morale ? Cette morale sans racine et sans fruit qu'ils étalent
pompeusement dans des livres ou dans quelque action d'éclat sur le
théâtre, sans qu'il en pénètre jamais rien dans le coeur ni dans la
raison - ou bien cette autre morale secrète et cruelle, doctrine
intérieure de tous leurs initiés, à laquelle l'autre ne sert que de
masque, qu'ils suivent seule dans leur conduite et qu'ils ont si
habilement pratiquée à mon égard. Cette morale, purement offensive,
ne sert point à la défense et n'est bonne qu'à l'agression. De quoi
me servirait-elle dans l'état où ils m'ont réduit ? Ma seule
innocence me soutient dans les malheurs, et combien me rendrais-je
plus malheureux encore, si m'ôtant cette unique mais puissante
ressource, j'y substituais la méchanceté ? Les atteindrais-je
dans l'art de nuire, et quand j'y réussirais de quel mal me
soulagerait celui que je leur pourrais faire ? Je perdrais ma
propre estime et je ne gagnerais rien à la place.
    C'est ainsi que raisonnant avec moi-même je parvins à ne plus me
laisser ébranler dans mes principes par des arguments captieux, par
des objections insolubles et par des difficultés qui passaient ma
portée et peut-être celle de l'esprit humain. Le mien, restant dans
la plus solide assiette que j'avais pu lui donner, s'accoutuma si
bien à s'y reposer à l'abri de ma conscience qu'aucune doctrine
étrangère ancienne ou nouvelle ne peut plus l'émouvoir, ni troubler
un instant mon repos. Tombé dans la langueur et l'appesantissement
d'esprit, j'ai oublié jusqu'aux raisonnements sur lesquels je
fondais ma croyance et mes maximes, mais je n'oublierai jamais les
conclusions que j'en ai tirées avec l'approbation de ma conscience
et de ma raison, et je m'y tiens désormais. Que tous les
philosophes viennent ergoter contre : ils perdront leur temps
et leurs peines. Je me tiens pour le reste de ma vie en toute chose
au parti que j'ai pris quand j'étais plus en état de bien choisir.
Tranquille dans ces dispositions, j'y trouve, avec le contentement
de moi, l'espérance et les consolations dont j'ai besoin dans ma
situation. Il n'est pas possible qu'une solitude aussi complète,
aussi permanente, aussi triste en elle-même, l'animosité toujours
sensible et toujours active de toute la génération présente, les
indignités dont elle m'accable sans cesse, ne me jettent
quelquefois dans l'abattement ; l'espérance ébranlée, les
doutes décourageants reviennent encore de temps à autre troubler
mon âme et la remplir de tristesse. C'est alors qu'incapable des
opérations de l'esprit nécessaires pour me rassurer moi- même, j'ai
besoin de me rappeler mes anciennes résolutions, les soins
l'attention, la sincérité de coeur que j'ai mis à les prendre
reviennent alors à mon souvenir et me rendent toute ma confiance.
Je me refuse ainsi à toutes nouvelles idées comme à des erreurs
funestes qui n'ont qu'une fausse apparence et ne sont bonnes qu'à
troubler mon repos. Ainsi retenu dans l'étroite sphère de mes
anciennes connaissances, je n'ai pas, comme Solon, le bonheur de
pouvoir m'instruire chaque jour en vieillissant, et je dois même me
garantir du dangereux orgueil de vouloir apprendre ce que je suis
désormais hors d'état de bien savoir. Mais s'il me reste peu
d'acquisitions à espérer du côté des lumières utiles, il m'en reste
de bien importantes à faire du côté des vertus nécessaires à mon
état. C'est là qu'il serait temps d'enrichir et d'orner mon âme
d'un acquis qu'elle pût emporter avec elle, lorsque, délivrée de ce
corps qui l'offusque et l'aveugle, et voyant la vérité sans voile,
elle apercevra la misère de toutes ces connaissances dont nos faux
savants sont si vains. Elle gémira des moments perdus en cette vie
à les vouloir acquérir. Mais la patience, la douceur, la
résignation, l'intégrité, la justice impartiale sont un bien qu'on
emporte avec soi,

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