Les révoltés de Cordoue
mine de lancer une nouvelle pierre, mais El Gironcillo
le lui défendit.
— Parmi les milliers de Maures que nous sommes, je suis
leur cible. Mon arquebuse les appelle à tirer contre moi.
Il introduisit une balle de plomb dans le canon et saisit de
nouveau fermement les baguettes.
— Je ne veux pas qu’on te tue à cause de moi. Lance-les
sans te lever !
Toutefois, l’échange de tirs et de jets de pierres dura
peu : les Maures furent impuissants devant la supériorité en armes des
chrétiens, qui chargeaient et tiraient sans discontinuer, causant de nombreuses
pertes. El Gironcillo ordonna la retraite vers des positions plus élevées, là
où les balles de plomb chrétiennes ne parvenaient pas.
— Ils ne pourront pas franchir le pont, disaient les
rebelles en se repliant.
Devant l’inutilité des tirs, le marquis donna l’ordre de
cesser le feu. Les Maures se remirent à chanter et à crier. Beaucoup d’entre
eux tentaient encore d’atteindre avec leurs frondes un objectif que même les
arquebuses ne couvraient pas ; certains y parvinrent, mais avec peu de
résultats, lançant des pierres en direction du ciel en priant qu’il les aide à
réduire la distance. Hernando contempla comment le marquis, casque en main, et
ses capitaines en uniforme, s’avançaient pour examiner le pont détruit. Il
était impossible qu’une armée passe par là !
Le silence s’installa dans les rangs des deux camps,
jusqu’au moment où tous virent le marquis hocher négativement la tête. Alors
les Maures firent de nouveau éclater des vivats et ondoyer leurs drapeaux.
Hernando cria aussi, levant son poing au ciel. Le commandant général chrétien
s’apprêtait à se retirer, tête basse, quand, des rangs de l’infanterie, surgit
un frère franciscain qui, une croix dans la main droite et l’habit attaché à la
taille, sans même regarder le marquis, entreprit d’avancer sur le dangereux
pont. Les cris s’arrêtèrent. Le marquis réagit et ordonna le feu à discrétion
pour protéger le religieux. Durant quelques instants, tous furent suspendus au
pas vacillant du moine et à la croix qu’il exhibait fièrement devant les
musulmans.
Deux autres fantassins se risquèrent à traverser le pont
avant même que le frère eût atteint l’autre rive. L’un d’eux fit un faux pas et
tomba dans le vide, mais avant que son corps s’écrase contre les parois du
ravin, comme si sa mort était un appel au courage pour ses compagnons, on
entendit un cri dans la colonne de l’infanterie chrétienne :
— Santiago !
Le cri de guerre rugit parmi la troupe en même temps qu’une
longue rangée de soldats s’avançait vers la tête du pont détruit, disposée à le
franchir. Le frère arrivait de l’autre côté. Les caporaux et les sergents
pressaient les arquebusiers pour qu’ils chargent et tirent rapidement afin
d’empêcher les Maures de descendre une fois de plus des collines et d’attaquer
ceux qui traversaient. Nombre d’entre eux essayèrent, mais le feu de l’armée
chrétienne, concentré sur la tête du pont, fut efficace. Peu après, un corps de
fantassins, parmi lesquels se trouvait le moine qui priait à grands cris en
brandissant la croix, défendait le pont depuis le côté des Alpujarras.
Abén Humeya sonna la retraite. Cent cinquante Maures
perdirent la vie à Tablate.
— Monte, dit El Gironcillo à Hernando en lui désignant
un autre cheval, une fois au sommet de la colline. Son cavalier est mort,
ajouta-t-il en voyant le garçon hésiter. On ne va pas laisser cet animal aux
chrétiens. Appuie-toi sur son cou et laisse-toi mener, lui conseilla-t-il en
partant au galop.
10.
Abén Humeya s’enfuit avec ses hommes en direction de
Juviles. Le marquis de Mondéjar le poursuivit et prit tous les villages situés
sur la route entre Tablate et Juviles, saccageant les maisons, réduisant en
esclavage les femmes et les enfants restés à l’arrière et s’emparant d’un
important butin.
Dans le château de Juviles, les Maures discutèrent de leur
situation et de leurs possibilités. Certains étaient pour la reddition ;
les monfíes, sûrs de leur châtiment et de ne bénéficier d’aucune mesure de
grâce, appelaient à l’affrontement à mort ; d’autres proposaient de fuir
dans les montagnes.
Dans l’urgence, car les espions annonçaient l’armée
chrétienne à une journée seulement de Juviles, les Maures adoptèrent une
solution intermédiaire : les hommes de
Weitere Kostenlose Bücher