Les révoltés de Cordoue
s’employèrent à nettoyer sans moyens et avec peu de
succès. Hernando et Miguel les observaient : on aurait dit des mendiants.
Les deux hommes sortirent de la maison et s’éloignèrent dans
une ruelle sinueuse bordée de maisons en ruine. Rafaela, qui s’en aperçut,
ordonna aux enfants de continuer et les suivit.
Et maintenant ? les interrogea-t-elle du regard dès
qu’elle fut auprès d’eux. Allaient-ils vivre là, cachés, toute leur vie ?
— Je dois te demander un nouveau service, Miguel,
s’empressa de dire Hernando en soutenant le regard de son épouse.
Il tendit la main à Rafaela.
— Dites-moi. Que voulez-vous ?
Hernando accompagna Miguel le plus près possible de Grenade,
puis il retourna dans les Alpujarras avec la mule ; un mendiant ne pouvait
posséder un animal comme celui-ci. L’éclopé franchit la porte du Rastro après
avoir bataillé avec les gardes qui finirent par céder, vaincus par son
inépuisable logorrhée. De là, il se rendit directement à la maison de los
Tiros.
Pendant l’absence de Miguel, Hernando s’occupa de ses
enfants et tenta de leur apprendre à chasser de petits oiseaux. Il trouva un
bout de corde séchée, désunit les fils et, sous leur regard attentif, il se mit
à confectionner divers types de laçages qu’ils placèrent ensuite sur les
branches des arbres. Ils n’en attrapèrent aucun, mais les petits s’amusèrent
beaucoup. Et ils ne manquèrent pas de nourriture. Hernando connaissait bien la
région et, à part de la viande, il trouva tout ce qu’il fallait pour survivre.
Une semaine passa. Personne ne s’était aventuré jusqu’au village. Alors Hernando
annonça à Rafaela qu’il partait quelques jours avec Amin et Muqla.
— Où allez-vous ?
— Je dois leur montrer quelque chose.
La terreur envahit le visage de Rafaela.
— Ne t’inquiète pas, la rassura-t-il. Personne ne
viendra par ici. Sois attentive et, si tu vois quelque chose d’étrange,
réfugie-toi avec les enfants dans les grottes près de l’endroit où nous avons
essayé de chasser des oiseaux. Laila sait où elles sont.
Aussi imposant que dans les souvenirs d’Hernando, le château
de Lanjarón se dressait sur les hauteurs. Ils attendirent que la nuit tombe au
pied de la colline avant d’entreprendre l’ascension. Hernando s’était arrangé
pour que le voyage ait lieu au moment de la pleine lune, qui brillait
intensément dans un ciel étoilé et sans nuages. Suivi par ses fils, il se
dirigea vers le bastion, au sud de la forteresse.
— Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et Mahomet est
l’envoyé de Dieu, murmura-t-il dans la nuit.
Puis il se mit à genoux et commença à creuser. Alors l’épée du
Prophète apparut. Hernando la sortit avec soin et la présenta à ses enfants, la
libérant solennellement des tissus dans lesquels il l’avait enveloppée un jour.
— Voici l’une des épées qui a appartenu à Mahomet, leur
dit-il.
Il aurait aimé que le fourreau en or et ses pierres brillent
sous la lumière de la lune comme jadis, lorsqu’il les avait contemplés pour la
première fois dans la chaumine d’Hamid. En revanche, il trouva l’éclat désiré
dans les yeux immensément ouverts de ses fils. Il dégaina l’alfange. La lame
grinça en sortant et Hernando frémit : malgré la rouille on voyait encore
les taches de sang séché du cou de Barrax. Le corsaire ! Il se perdit dans
ses souvenirs et, une fois de plus, en dépit de tout ce qui s’était passé, le
regard noir de Fatima surgit, étincelant dans la nuit.
Une petite toux le ramena à la réalité. Il regarda Amin,
puis les yeux de Muqla le captivèrent ; même à la lumière de la lune, ils
étincelaient.
— Pendant des années, déclara-t-il alors avec
véhémence, cette épée a été protégée par les musulmans. D’abord, lorsque nous
régnions sur ces terres, elle fut exhibée avec fierté et utilisée avec
courage ; puis, quand notre peuple fut soumis, on la cacha dans l’attente
d’une nouvelle victoire qui viendra un jour. Ne doutez jamais de cela.
Aujourd’hui, nous sommes plus vaincus que jamais ; nos frères ont été
expulsés d’Espagne. Si ce que j’ai prévu se réalise, nous allons être obligés
de continuer à nous comporter comme des chrétiens, d’autant plus qu’il restera
peu de musulmans en Espagne ; nous devrons parler comme eux, manger comme
eux et prier comme eux, mais ne désespérez pas, mes enfants. Je n’en
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