Les révoltés de Cordoue
femmes qui veillaient sur le
roi. Sans même chercher à s’isoler, la danseuse se jeta sur lui sous le regard
des autres. Elle déshabilla rapidement Hernando sans qu’il puisse résister,
puis elle se mit à détacher son propre pantalon bouffant et ses bas épais
enroulés des chevilles aux genoux. Soudain une des femmes s’écria :
— Il n’est pas circoncis !
Toutes s’approchèrent d’Hernando et deux d’entre elles
tendent la main vers le membre dressé du garçon. Sans cesser d’ôter son
pantalon, qu’elle avait déjà à mi-mollets, la danseuse plissa les yeux et
protégea le pénis d’une de ses mains.
— Ouste ! cria-t-elle, frappant ses compagnes de
sa main libre. Attendez votre tour.
Hernando se réveilla avec la bouche sèche et un terrible mal
de tête. Où était-il ? La lumière de l’aube qui commençait à se faufiler à
l’intérieur de la tente lui rappela vaguement la nuit, la fête… Et après ?
Il voulut bouger. Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Où était-il ? Sa
tête était sur le point d’exploser. Que… ? De gros bras, mous et lourds,
l’entouraient. Alors il sentit un contact : celui de son corps nu contre…
Il bondit hors de la paillasse. La femme, sans broncher, grogna et continua à
dormir. Qui était-elle ? Hernando observa ses énormes seins et son gros
ventre. Tout en elle se répandait sur la couverture qui recouvrait la
paillasse. Qu’avait-il fait ? Une seule cuisse de cette matrone était plus
large que ses deux jambes réunies. La nausée et le froid l’assaillirent en même
temps. Il examina l’intérieur de la hutte : ils étaient seuls. Il se leva
et chercha ses vêtements du regard. Il les trouva par terre, jetés ici et là,
et tenta de se protéger contre le froid. Que s’était-il passé ? se
demanda-t-il, grelottant tandis qu’il s’habillait. Le simple frôlement du tissu
contre son entrejambe le brûla. Il regarda son membre : il semblait
décharné. Sa poitrine, ses bras et ses jambes étaient couverts de griffures. Et
son visage ? Il trouva un bout de miroir cassé et se regarda : son
visage aussi était tout éraflé, son cou et ses joues violacés de toutes parts,
comme si on lui avait aspiré le sang. Il essaya de remonter jusqu’à la fête,
qui lui revint en mémoire… La danse… La fille. Le visage de la danseuse
réapparut, contracté, agité… À califourchon sur lui, le chevauchant et lui
attrapant les mains pour les poser sur sa poitrine, comme auparavant l’avait
fait… Puis la danseuse s’était mordue les lèvres et avait crié de plaisir, et
plusieurs femmes s’étaient jetées sur lui, lui avaient donné à boire, et…
Fatima ! Elle avait promis de l’attendre ! Il chercha sa nouvelle
tunique. Elle n’était pas là. Il porta la main à la ceinture qu’il venait instinctivement
d’attacher… La bourse pleine de réaux aussi n’y était plus, ni le turban en or…
ni l’épée d’Hamid !
Il secoua la femme.
— Où est l’épée ?
La grosse Mauresque grommela en dormant. Hernando la
bouscula plus fortement.
— Et mon argent ?
— Prends-moi encore, dit la Mauresque en ouvrant les
yeux. Tu es si vigoureux…
— Et mes vêtements ?
La femme parut se réveiller.
— Tu n’en as pas besoin. Je te réchaufferai, lui
murmura-t-elle, s’offrant à lui avec obscénité.
Hernando détourna le regard de ce corps obèse, intégralement
épilé.
— Chienne ! l’insulta-t-il tandis qu’il se
retournait pour scruter l’intérieur de la tente.
C’était la première fois qu’il insultait une femme.
— Chienne ! répéta-t-il, affligé, quand il constata
que tout avait disparu.
Il avança vers le rideau qui servait de porte, péniblement à
cause de la douleur que lui causait le contact de ses habits. Il marcha avec
difficulté, en écartant les jambes.
Le jour s’était levé, mais le camp demeurait dans un étrange
silence. Il vit le monfí qui montait la garde à l’entrée de la tente voisine
d’Abén Humeya et se dirigea vers lui.
— Les danseuses m’ont volé, dit-il sans le saluer.
— Apparemment tu as pris du bon temps avec elles,
répliqua le garde.
— Elles m’ont tout pris, insista-t-il. Les dix ducats,
la tunique, le turban…
— Une grande partie de l’armée a déserté cette nuit,
l’interrompit le monfí, la voix fatiguée.
Hernando tourna les yeux vers le camp.
— L’épée, murmura-t-il. Pourquoi voler l’épée si
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