Les révoltés de Cordoue
Fatima
apporta au jeune homme une citronnade bien fraîche à l’endroit où il préparait
les chevaux. C’était aux premières heures du jour. Il flottait dans l’air
l’allégresse nerveuse du combat imminent. Entre deux rires, Hernando la fit
monter sur son cheval moreau, à cru, sentant trembler son corps lorsqu’il la
saisit à la taille pour la hisser sur l’animal. Il voulut l’aider à mettre pied
à terre et Fatima en profita pour se laisser tomber dans ses bras du haut de la
monture. Alors, accrochée à lui, elle l’embrassa. Yusuf s’esquiva non sans leur
jeter des coups d’œil. Hernando lui rendit un baiser passionné, se serrant
contre sa poitrine et son pelvis, la désirant et sentant son désir. Plus tard,
absorbé par les préparatifs du départ, il ne s’aperçut pas que la jeune fille
et sa mère avaient disparu pendant tout le reste de la journée.
Cette nuit-là, Aisha laissa à leur disposition sa chambre
avec le lit à baldaquin et alla dormir au côté des enfants. Elle avait passé la
journée à louer des vêtements et des bijoux pour Fatima, faisant fi de ses
faibles protestations. Elle avait acheté un peu de parfum et employé
l’après-midi à la préparer : elle l’avait baignée et avait lavé sa
chevelure noire avec du henné mélangé à une douce huile d’olive, afin de lui
donner cette teinte rouge qui éclatait sur chaque boucle ; elle l’avait
ensuite parfumée d’eau de fleur d’oranger. Au moyen du henné encore, elle avait
soigneusement tatoué ses mains et ses pieds, traçant de petites figures
géométriques. Fatima s’était laissé faire : parfois souriant, parfois
baissant les yeux. Aisha nettoya ses yeux noirs avec du jus de baies de myrte
et de la poudre d’antimoine, puis elle lui prit le menton, l’obligeant à se
tenir tranquille, jusqu’à ce que les grands yeux noirs de la jeune fille
apparaissent clairs et brillants. Elle lui fit enfiler une tunique en soie
blanche brodée de perles et ouverte sur les côtés, et la para de grandes
boucles d’oreilles, de bracelets aux chevilles et aux poignets, le tout en or.
Mais, au moment où elle voulut lui passer un collier, la jeune femme refusa
avec délicatesse qu’elle enlève la main de Fatima qui ornait sa poitrine. Aisha
caressa la petite main et céda. Elle prépara des bougies et des coussins,
remplit une cuvette avec de l’eau pure et disposa de la citronnade, des
raisins, des fruits secs et des pâtisseries au miel qu’elle avait achetés sur
le marché.
« Tâche de ne pas bouger », l’implora-t-elle quand
Fatima fit mine de l’aider. Une ombre de tristesse, presque imperceptible,
traversa le visage de la jeune fille.
— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Aisha. Tu ne… Tu
n’es pas décidée ?
Fatima baissa les yeux.
— Si, bien sûr, dit-elle. Je l’aime. Ce que je ne sais
pas…
— Raconte-moi.
Fatima releva le visage et se confia à Aisha.
— Salvador, mon époux, aimait jouir de mon corps. Et je
me pliais à tout ce qu’il voulait, mais…
Aisha attendit patiemment.
— Mais je n’ai jamais réussi à éprouver quelque chose.
Il était comme un frère pour moi ! On a grandi ensemble dans l’atelier de
mon père.
— Ce sera différent avec Hernando, affirma Aisha.
La jeune fille l’interrogea du regard, comme si elle voulait
croire ses paroles.
— Tu t’en rendras compte toi-même ! Oui, quand le
désir fera trembler tout ton corps. Hernando n’est pas ton frère.
Après les prières du soir, Aisha alla chercher son fils sous
le porche et, sans lui donner d’explications, l’obligea à l’accompagner au
premier étage. Salah et sa famille observèrent l’insistance d’Aisha pour
qu’Hernando la suive, puis Barrax et ses deux mignons les virent passer par la
porte ouverte de la salle à manger qu’ils utilisaient pour dormir. Le corsaire
lâcha un soupir de regret.
— Elle a promis de t’attendre, dit Aisha à Hernando à
la porte de la chambre.
Le jeune garçon allait dire quelque chose, mais il réussit
seulement à agiter maladroitement la main.
— Mon fils, je n’admettrai pas qu’à cause de moi vous
vous reteniez de vous aimer. De plus, ce serait inutile… Entre,
l’enjoignit-elle, lui attrapant le poignet tandis qu’elle entrouvrait la porte.
Hernando voulut l’étreindre, mais Aisha s’effaça.
— Non, mon fils, plus maintenant. C’est elle que tu
dois prendre dans tes bras. C’est une femme
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